De la firme de venture capital à la startup de jeux de société
Engagé dans une procédure de naturalisation en 2007, le venture capitalist Hadi Barkat a imaginé un jeu pour découvrir et apprendre la Suisse. Neuf ans plus tard, il est à la tête d'une jeune entreprise au business florissant dans l'univers de l'édition de livres et jeux de société.
En 2007, Hadi Barkat est en pleines révisions. Cet ancien étudiant de l'EPFL, qui a pris part à une aventure entrepreneuriale au sein d'une startup née sur le campus de l'école polytechnique, ne prépare pas un examen universitaire: il a rendez-vous avec les autorités en vue de sa naturalisation. Mais se replonger dans les livres et «bachoter» n'est plus à son goût: «J'avais envie d'apprendre de manière ludique, de comprendre le système politique suisse, la culture, l'histoire, la géographie du pays sans devoir faire ça de manière scolaire et ennuyeuse mais au contraire en m'amusant», se souvient le natif d'Alger qui vivait alors en Suisse depuis près de 12 ans.
Hadi Barkat travaille alors comme investment manager au sein d'une firme de venture capital. Dans le domaine de l'innovation technologique, il parcourt le monde à la recherche des pépites de demain, repérant et analysant le potentiel des startups issues des campus et des laboratoires les plus réputés au monde, de la Silicon Valley aux universités anglaises et du MIT de Boston aux écoles polytechniques fédérales suisses. Mais cette idée de proposer une manière ludique de faire connaître la Suisse ne le quitte pas. «Je connaissais par mon travail un auteur de jeux de société: j'ai été le voir pour lui exposer mon idée et voir ce qu'on pouvait développer», se rappelle Hadi Barkat. Mais ce qui devait être un "one shot" a pris une toute autre tournure.
Ayant conçu et développé un prototype du jeu, il démarche les entreprises capables de le fabriquer puis de le distribuer. Et se rend vite compte qu'il ne peut atteindre l'équilibre financier en proposant le jeu à un tarif abordable que s'il se fixe à un volume de 3000 exemplaires. En Suisse, un jeu de société est considéré comme un succès à partir de 2000 exemplaires vendus. Le défi est donc de taille. Impliqué dans tout le processus, il n'en continue pas moins son activité au sein de la firme de venture capital, menant les deux de front pendant de longs mois. Et quand les palettes de jeux arrivent, il faut alors écouler ce stock. Deux interventions vont l'y aider.
70 références au catalogue et présence dans dix pays
La première est celle d'un élu veveysan. Auteur d'un texte législatif sur l'apprentissage du système politique suisse et vaudois, il reçoit Hadi Barkat et intervient en sa faveur auprès de sa commune: la ville de Vevey va acheter 500 exemplaires pour les élèves des écoles, afin de leur apprendre la vie civique. D'autre part, le jeune homme a proposé à 150 personnes une formule de souscription afin de commander le jeu avant sa réalisation pour l'avoir à tarif réduit, «un peu comme du crowdfunding avant que le concept ne soit répandu». Un journaliste entend parler du jeu et en parle à la RTS: c'est la ruée... En quelques semaines, les 3000 exemplaires sont vendus et de nouvelles éditions sont lancées: une réédition en français mais aussi des versions en allemand, en italien, en anglais,...
SWISS IQ - Qui a le plus haut QI en suisse? from Helvetiq on Vimeo .
Ce premier succès lui donne des ailes. Sur la base de la jeune société Helvetiq créée pour commercialiser le jeu, d'autres idées sont imaginées. Au fil des mois, le potentiel s'affirme. Certaines rencontres permettent d'envisager des projets plus ambitieux. Ainsi, Hadi Barkat raconte cette anecdote survenue à Boston alors qu'il y vivait dans le cadre d'un poste de coach pour CEO d'une startup: «Je reçois une commande d'un jeu Helvetiq et je me rends compte que la commande émane d'une personne installée à Boston: je l'appelle et lui dis en plaisantant que nous avons un service de livraison express. Dix minutes plus tard, je lui déposais un jeu que j'avais en réserve avec moi. Il a été tellement amusé par ce hasard et a tellement apprécié le jeu qu'il m'a mis en relation avec un studio de jeux en Californie».
En 2010, changement de cap: Helvetiq est désormais une startup assez mûre pour que son fondateur s'y consacre à plein temps. Il recrute immédiatement un collaborateur pour s'occuper du marché alémanique et pousse plus loin les idées surgies au cours des mois précédents. Voient ainsi le jour successivement un jeu sur le vocabulaire, un autre sur les cantons, différentes boîtes thématiques sur les villes du pays, puis des livres dont un ouvrage parodique sur la contre-sagesse suisse. Les contacts outre-Atlantique ne sont pas oubliés pour autant. Un jeu centré sur New York est mis au point en coopération avec la société américaine. L'internationalisation est en marche: six ans après que le cofondateur se soit consacré à 100% à sa startup, Helvetiq est une société présente dans une dizaine de pays et avec un catalogue d'une septantaine de références. «Nous gardons un esprit startup avec une structure horizontale, mais les recrutements nous ont permis de gagner en structure et en organisation», glisse Margot Delévaux, responsable éditoriale d'Helvetiq, qui a rejoint l'équipe en cours d'année.
Conception suisse, fabrication en Allemagne, Pologne, Chine
Helvetiq emploie désormais neuf personnes sur deux sites, le siège de Lausanne et un bureau avec les créatifs à Bâle. Mais la jeune société fait aussi appel à des créateurs de jeux, des graphistes et d'autres spécialistes sur certains projets. «Notre formule est simple mais efficace: nous développons des divertissements intelligents, avec un design soigné typiquement suisse», explique Hadi Barkat. En plus des jeux de plateaux, des jeux de cartes et autres jeux de stratégie, livres et quiz, Helvetiq a également la capacité de développer des apps pour smartphones: «On va mettre au point une app quand il y aura une réelle plus-value entre le jeu physique et le contenu en ligne, comme pour un jeu sur les langues, afin d'ouvrir l'app et d'entendre les sons, ou sinon on peut aussi développer une app pour un jeu qui cartonne afin d'enrichir l'expérience du joueur», précise le CEO de la jeune société.
iPhone App Trailer Lausanne from Helvetiq on Vimeo .
Mais le succès ne réside pas uniquement dans le produit. Helvetiq a aussi su diversifier ses canaux de distribution. Certes, les magasins de jeux et les librairies surtout constituent toujours des vecteurs de vente. Mais pas seulement: «Nous essayons de faire en sorte que les clients nous trouvent dans des endroits dans lesquels ils ne s'attendent pas à trouver des jeux ou des livres, comme les boutiques de vêtement», précise Hadi Barkat.
Si la conception des jeux est suisse, la fabrication des plateaux, figurines, cartes et plateaux se fait en Allemagne, en Pologne et en Chine. «Nous avons été surpris par certaines réactions: parmi les distributeurs et clients internationaux, nous avons eu des gens qui tenaient à ce que les jeux soient produits en Chine car ils avaient l'impression de surpayer le produit dès lors qu'il est fabriqué ailleurs. Alors que parfois ça nous revient plus cher de le faire fabriquer là-bas qu'en Europe», constate Hadi Barkat.
Mais le startuper sait qu'il n'est pas au bout de ses surprises dans cet univers des jeux. Cette année, une campagne de crowdfunding sur la plateforme Wemakeit a permis de mettre au point un produit original: «Nous souhaitions encourager les personnes actives à prendre des pauses dans leur quotidien et nous avons donc conçu des objets qui s'approchent autant du design que du jeu: il s'agit de couper avec les écrans et de tirer une carte avec une question invitant à la réflexion, loin du tourbillon du travail. La campagne a été lancée début janvier et a permis de récolter 12'371 francs alors que nous visions 10'000», se réjouit l'entrepreneur.
Something Else Instead - Helvetiq - wemakeit from Helvetiq on Vimeo .
Mais de l'aveu même du fondateur d'Helvetiq, «il y a beaucoup plus de projets dans les cartons que ceux que nous pouvons réaliser». A fin 2016, douze jeux de la jeune entreprise suisse sont distribués aux Etats-Unis. D'autres devraient suivre, car, comme le confie Margot Delévaux, «les catalogues sont pleins de nouvelles idées, nous devons surtout arriver à réduire les délais de production». Et pour promouvoir ces nouveautés, les équipes d'Helvetiq ont mis sur pied de nombreux vernissages à travers le pays et notamment la Suisse romande. Pour la fin d'année 2016, trois nouveautés sont au coeur de ces présentations: un jeu de société baptisé Matterhorn, le jeu RTS, et un livre de recettes à base d'Ovomaltine. De quoi donner l'énergie pour continuer à relever de nombreux défis.
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