Ce que j'ai appris: Patrick Aebischer, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne
Six personnalités romandes se prêtent pour Bilan à un exercice original : dévoiler ce qu’elles ont retenu de leur parcours exceptionnel tant sur le plan professionnel que personnel.

Bilan Vous avez dit un jour que votre passion des neurosciences procédait de votre soif de découvrir les supports biologiques de l’esprit. Est-ce toujours le cas? Patrick Aebischer A l’époque du gymnase, j’avais hésité entre la philosophie et les neurosciences. Le désir de savoir comment émerge la conscience du cerveau m’a toujours fasciné. J’ai l’impression que la science s’est dotée aujourd’hui de techniques qui permettent d’aborder la problématique de la conscience, même si je réalise que beaucoup reste à faire pour en comprendre le mécanisme, si même on y arrive un jour!
B L’Université de Cambridge vous a demandé il y a quelques années de laisser un message à votre successeur dans cent ans. Bien sûr c’est un secret, mais pouvez-vous nous dire dans quel registre ou sur quel plan vous avez situé cette missive? PA J’ai le respect du secret. Il serait donc illusoire de penser glâner quelques informations. J’ai cependant beaucoup aimé l’idée. Seule une institution comme Cambridge est assurée d’être toujours présente dans cent ans. Quelle compagnie pourrait en dire autant?
B Vous avez participé à des IPO, rencontré des capital-risqueurs comme des banquiers suisses. Quels enseignements tirez-vous de ces relations avec le monde de la finance? PA Je suis étonné de la méfiance qu’il y a en Europe entre le monde académique et le monde de la finance. Chacun des deux mondes a besoin de l’autre. Nous devons valoriser nos découvertes si nous voulons que nos diplômés trouvent des emplois. Pour ce faire nous devons interagir avec le secteur financier tout en préservant la liberté académique qui nous est chère.
B Quel rapport entretenez-vous avec l’argent? PA Comme tout le monde, je réalise qu’on en a besoin pour bien vivre mais je ne suis pas motivé par l’argent, sinon je ferais un autre métier.
B Comment mettez-vous de côté pour le cas où? PA Ma préférence va à la pierre car on peut en profiter.
B Vous avez beaucoup fréquenté des grands capitaines d’industrie, quel conseil donneriez-vous à celui ou à celle qui cherche à les convaincre d’adhérer à leur projet? PA Soyez sincère et ambitieux.
B Qu’est-il important de dire à Rolex pour la convaincre d’investir une somme significative dans le learning center? PA Dans le cas particulier, le désir de travailler ensemble sur le long terme, le partage des mêmes valeurs d’excellence et d’ambition internationale ainsi que la beauté du projet architectural.
B Que vous a répondu Peter Brabeck la première fois que vous lui avez proposé l’idée de faire venir Nestlé sur le campus? PA L’idée que la nourriture joue un rôle déterminant dans la prévention des maladies était une évidence pour nous deux. La conséquence logique était de créer un centre qui s’y consacrerait, et le campus de l’EPFL nous est rapidement apparu comme le lieu idéal pour son implantation.
B Pour conclure une affaire, vous préférez votre bureau, le bureau de votre interlocuteur, une bonne table, un autre lieu? PA Il n’y a pas de mise en scène particulière car ce type de partenariat se développe au cours d’une série de rencontres dans des lieux multiples. De nouveau, l’élément déterminant est la confiance qui doit se développer entre les deux partenaires.
B Avez-vous l’impression d’avoir influencé/participé à un changement significatif en Suisse romande? Et si oui, quelle est la nature de ce changement? PA Ce n’est pas à moi de le dire. Il est cependant souhaitable que les Hautes Ecoles jouent un rôle important dans le développement économique d’une région. L’EPFL, de par sa nature d’université technologique, se doit d’y participer.
B La science doit faire beaucoup de marketing aujourd’hui. Que pensez-vous de cette évolution? PA Je n’aime pas le terme marketing. On a longtemps accusé les scientifiques de vivre dans leur tour d’ivoire. Une fois sortis, on les accuse de faire du marketing. Je pense que les rencontres entre scientifiques et citoyens doivent être favorisées. Des actions telles que des portes ouvertes, des cafés scientifiques ou des débats médiatiques devraient permettre d’expliquer en toute transparence ce que nous faisons dans nos laboratoires. Nous devons également faire envie aux jeunes afin qu’ils s’engagent dans des carrières scientifiques.
B Quelle est la rencontre qui a le plus compté dans votre vie professionnelle et pourquoi? PA C’est la rencontre avec Pierre-Marie Galletti, la personne que je considère comme mon maître. Ce Suisse né à Monthey enseignait à l’Université de Brown aux Etats-Unis lorsque j’y séjournais. Il en était également son vice-président responsable pour la biologie et la médecine. C’était un visionnaire, un grand érudit qui avait en même temps les pieds sur terre. J’ai appris mon métier de chercheur et président par osmose en le regardant travailler.
B Quel a été le premier enseignement que vous ayez tiré en devenant président de l’EPFL? Et le plus récent? PA Comme disait mon grand-père irlandais: «It’s cold on the hill top», particulièrement lorsque vous êtes parachuté dans une institution dont vous n’émanez pas. Une fois accepté par cette institution, c’est un job passionnant car vous avez le privilège de rencontrer des gens brillants et originaux et d’entrevoir où va la science.
B A quel métier s’apparente le plus, selon vous, la fonction de président d’une grande université comme l’EPFL? PA C’est Charles Vest, ancien président du MIT, qui disait du métier de président d’université qu’il n’est pas comparable à celui d’un chef d’orchestre mais bien plus à un «road manager» dont la responsabilité est, avec son équipe de vice-présidents et de doyens, d’engager des musiciens talentueux et indépendants et les laisser jouer une jam-session en essayant de leur donner le bon tempo.
B Quel a été le facteur le plus déterminant qui vous a décidé à devenir président de l’EPFL? PA Mon sens du devoir et de respect de la chose publique. C’est un job que je n’ai jamais cherché et qui m’a été offert entre la poire et le fromage par Francis Waldvogel, alors président du Conseil des écoles polytechniques. J’avais failli avaler ma glotte tellement cette idée me paraissait saugrenue.
B Chez un professeur que vous engagez (ou un assistant que vous décidez de promouvoir), quelle est la caractéristique personnelle qui compte le plus à vos yeux au-delà de la compétence professionnelle? PA La passion et l’originalité de la pensée.
B Quel est le moment de votre présidence qui vous a donné le plus de satisfaction? Et celui que vous regrettez? PA C’est le jury du Rolex Learning Center. Avoir le privilège d’entendre certains des plus grands architectes du monde présenter leur vision d’une bibliothèque moderne a été un moment inoubliable. Il y en a bien sûr beaucoup d’autres. Pour les regrets, je les ai oubliés!
B Comment réagissez-vous lorsque vous vous rendez compte que vous vous êtes trompé? PA J’essaie de l’avouer rapidement en me disant qu’on a tous droit à l’erreur.
B Qu’est-ce qui vous met vraiment de mauvaise humeur? PA La mauvaise foi et la malhonnêteté.
B Quel est votre endroit préféré dans le monde et pourquoi? PA Les îles grecques car elles me procurent le repos nécessaire de l’esprit.
B Qu’avez-vous appris de vos parents? PA La joie de vivre et le sens de la beauté.
B Comment choisissez-vous vos amis? PA On ne choisit pas ses amis. Ce sont les rencontres improbables de la vie qui vous les offrent.
B Quel est le sujet de conversation que vous préférez lorsque vous êtes avec des amis? PA Tout m’intéresse, je n’ai pas de sujets préférés. C’est la qualité de la rencontre qui m’importe.
B Quelles ont été vos deux ou trois plus fortes émotions artistiques, et même chose pour vos émotions scientifiques? PA Je trouve très réducteur ce type de questions car la vie est essaimée de beaucoup d’émotions. J’ai un souvenir extraordinaire d’un Don Giovanni à l’Opéra de Genève dans une mise en scène de Maurice Béjart avec Ruggero Raimondi dans le rôle de Don Juan. Il en est de même d’une rétrospective de Nicolas de Staël à Beaubourg et d’une exposition de Mark Rothko à la Fondation Beyeler à Bâle, deux de mes peintres préférés. Pour la science, ce n’est pas pareil. C’est le long processus de découverte qui est enthousiasmant mais pas un instant donné.
2000. Son arrivée à la présidence de l’EPFL déclenche une vague de nouveaux projets: Faculté des sciences de la vie, Rolex Learning Center ou le Quartier de l’innovation. 2012. Lance le projet Neuropolis, doté de 110 millions, et prélude à un CERN du cerveau.
Crédit photo: Cédric Widmer
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