Ce que j'ai appris: Christian Varone, commandant de la police cantonale valaisanne.
Six personnalités romandes se prêtent pour Bilan à un exercice original : dévoiler ce qu’elles ont retenu de leur parcours exceptionnel tant sur le plan professionnel que personnel.

Interdiction de craquer. «Pa capona», ne jamais renoncer. C’est la devise de Savièse, ma commune, dans un dialecte valaisan. Une philosophie que j’ai adoptée. Rester digne dans toute situation, faire tout son possible. J’avais cet objectif en tête durant les septante-deux heures qu’a duré le plan d’urgence (lors de l’accident du car belge dans le tunnel de Sierre, le 13 mars dernier, ndlr). Je me suis immédiatement rendu sur le lieu du drame. La présence du chef sur le terrain demeure capitale pour les collaborateurs. Je devais montrer que je prenais la situation en main. C’était un tel choc sur place. Les larmes me montaient aux yeux. Mais interdiction de craquer: je devais garder mon sang-froid, transmettre ce calme à tous les policiers, pompiers et sanitaires qui s’activaient sur le site. Il n’y a plus de place pour le doute. Une seule mission: agir dignement et le plus rapidement possible pour protéger les familles des victimes. Lors de l’évacuation des corps, la prise en charge des survivants ou encore la gestion des pressions médiatiques et politiques.
Vingt-deux enfants ont perdu la vie. La douleur des familles qu’on doit prévenir au milieu de la nuit est d’autant plus poignante pour la plupart des pères et mères que nous sommes. J’ai moi-même deux jeunes enfants. Une victime ressemblait à ma fille. Mon fils, lui, était passé par ce tunnel quelques heures avant le drame, de retour du ski avec son école. L’identification à cet accident nous a totalement immergés dans cette catastrophe. Beaucoup partageaient ce sentiment. De nombreux citoyens nous appelaient pour proposer leur aide. Ils mettaient à disposition leur domicile pour les familles des victimes, par exemple. Une bonté qui m’a fait chaud au cœur. En plus de l’accident, nous avons dû gérer entre autres des incendies et un braquage de banque. Cette semaine-là, nous avons aussi perdu un collaborateur atteint de leucémie. Peu après, un autre membre du personnel nous a aussi quittés. Mon équipe a tenu bon. Ces événements m’ont prouvé que je dirigeais une institution solide et soudée.
Un seul et unique patron peut décider des actions à conduire sur le terrain. Cela peut sembler présomptueux et stalinien, mais c’est la réalité. Cette capacité à commander, il faut l’avoir dans le sang. Dans n’importe quel domaine. J’ai toujours perçu cette sensibilité en moi. Or, intégrer son équipe dans les processus de décision est bien entendu primordial. Si le chef ne crée pas d’osmose avec ses collaborateurs avant une grande crise, il est impossible pour lui de gérer les circonstances avec humanité. Dès lors, c’est l’échec assuré. «Ne pas prévoir, c’est déjà gémir.» Cette citation de Léonard de Vinci est mon pain quotidien. Ne pas se contenter de la situation actuelle. C’est pourquoi nous essayons de toujours nous préparer au pire, en mettant sur pied des entraînements, par exemple. Mais nous sommes tous conscients que la crise ne se passera pas comme prévu. Qu’il sera nécessaire de s’adapter à une situation inattendue qui évoluera rapidement.
Si je me considère comme un héros? Je n’ai jamais recherché la médiatisation. Sur le moment, on ne pense pas aux répercussions de ses actes. C’est une fierté collective que je ressens avec mon équipe, et non une satisfaction personnelle. Nous avons démontré que nous pouvions maîtriser les pires catastrophes en Valais. Ce drame reste le plus marquant pour moi jusqu’à aujourd’hui. Quand j’expose les faits quelques mois après, les émotions continuent de surgir. Elles ne partiront pas. Mais avec un bon côté: on finit par rapidement relativiser les petits soucis du quotidien. J’ai vécu quelque chose de terrible, mais aussi de formateur. Je n’ai pas de leçons de gestion de crise à donner à quiconque. Ce que nous pouvons apporter, c’est une expérience, bien que les tensions et les peines vécues soient impossibles à retranscrire sur des PowerPoint. Le jour où l’on fait face à une crise de cette ampleur, on se rend compte que la réalité diffère de ce qu’on apprend dans les livres de management.
Depuis l’événement, je reçois des propositions professionnelles en tout genre dans le domaine du management. J’aime passionnément ce que je fais actuellement. Si je choisis de changer de voie un jour, ce ne sera jamais par frustration. Si j’ai décidé de me porter candidat au Conseil d’Etat valaisan (sous la bannière du PLR, ndlr), bien avant l’accident, c’est pour apporter mon expérience du terrain. En toute modestie, je pense pouvoir amener une vision réaliste de la gestion de cas difficiles. Ce qui me motive, c’est l’intérêt public. Comme aujourd’hui à la tête de la police valaisanne. A la fin de ma vie, j’aimerais me regarder dans une glace et me dire que j’ai servi à quelque chose. Etre utile, c’est ce qu’il y a de plus gratifiant à mes yeux.
1er septembre 2007. Entre en fonction à la tête de la police cantonale valaisanne. 13 mars 2012. Dirige les opérations de secours lors de l’accident de car dans le tunnel de Sierre (28 morts). 30 mai 2012. Annonce officiellement sa candidature au Conseil d’Etat valaisan en 2013.
Crédit photo: Lionel Flusin
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