«Nous pourrions fermer des pharmacies»
Pour Etienne Jornod, président exécutif de Galenica, la Suisse ne doit pas fragiliser la branche de la santé. Un million de personnes dépendent de cette activité.
Le marché suisse de la santé est en pleine ébullition avec une pression accrue sur les prix des médicaments et les coûts hospitaliers ainsi qu’avec la prochaine votation sur la caisse maladie unique. Au niveau des multinationales pharmaceutiques, les opérations de cession d’activités et de fusions-acquisitions se multiplient avec plusieurs transactions récentes.
Chaque acteur cherche à se positionner autour d’activités phares à l’instar des géants bâlois Roche et Novartis dans l’oncologie. D’autres comme le bernois Galenica se concentrent sur les produits de niche (contre les carences en fer). Cette société est active non seulement dans la fabrication et la vente de médicaments, mais aussi dans la logistique pour les multinationales de la pharma et les acteurs du marché suisse ainsi que dans les chaînes de pharmacies avec Amavita, SunStore et Coop Vitality.
Depuis près de vingt ans, elle ne cesse d’accroître son chiffre d’affaires, son bénéfice et sa capitalisation boursière. En 1995, l’action valait 38 francs. Aujourd’hui, elle s’échange autour de 860 francs. Ce succès, Galenica le doit surtout à son président exécutif: depuis 1996, Etienne Jornod a profondément transformé cette société qui fonctionnait alors comme centrale d’achat pour les pharmaciens. Autant dire que le Neuchâtelois est un homme écouté.
Les grandes manœuvres se poursuivent dans l’industrie pharmaceutique. Galenica est-elle à vendre? - -
Ce scénario est exclu. Nous ne nous vendrons pas au plus offrant. Nous sommes plutôt dans la position inverse. Avec une capitalisation boursière de 5,6 milliards de francs, des fonds propres solides et de bonnes perspectives bénéficiaires, Galenica dispose des moyens pour croître.
Une fusion avec une autre société est pourtant dans l’air en raison de la volonté d’actionnaires importants de céder leurs titres… - -
Nous cherchons effectivement une solution adéquate qui doit permettre au fonds d’investissement américain KKR de sortir de Galenica. Nous travaillons sur un scénario consistant à convaincre une famille ou une entreprise disposant de moyens pour reprendre la totalité des actions en sa possession. En raison de la forte progression du cours boursier, ce n’est pas facile. Ces titres valent environ 1,5 milliard de francs. L’alternative est la vente sur le marché à beaucoup de «petits» actionnaires.
On évoque la société américaine Walgreens pour reprendre cette participation… - -
La réponse est non, car ce groupe a renoncé à racheter le paquet quand l’action s’échangeait à 500 francs. Maintenant, elle vaut autour de 900. Ce groupe vise la Chine, l’Inde, l’Amérique du Sud, mais pas la Suisse!
A l’inverse, Galenica envisage-t-elle de procéder à une ou plusieurs acquisitions? - -
Si c’était le cas, je ne vous le confirmerai pas en raison de la réglementation de la bourse. Ce que je peux dire, c’est que nous sommes dans une position de force pour acquérir des sociétés qui disposent de produits novateurs et actives dans la recherche ou pour nous placer dans une position stratégique clé avec une autre entreprise. Pour l’instant, nous comptons encore accroître la valeur de notre entreprise grâce à la vente de nos médicaments phares.
Quel serait le partenaire idéal? - -
L’idéal serait un acteur qui nous donnera l’élan pour accélérer notre développement tout en étant complémentaire à nos activités et qui nous permettra de continuer à travailler dans une perspective à long terme, laquelle est le secret de notre succès. Je vous donne deux exemples. Imaginons une entreprise familiale non cotée en bourse qui veut y entrer ou qui compte se diversifier, ou alors une société asiatique qui envisage de s’implanter en Europe et qui nous offre parallèlement la possibilité de nous étendre sur son continent. Ce serait parfait!
Quel regard portez-vous sur les opérations en cours? - -
Dans le passé, beaucoup d’entreprises pharmaceutiques n’ont pas été gérées de façon très entrepreneuriale. Car elles pouvaient facilement vendre leurs médicaments à des prix élevés sur une très longue période. Aujourd’hui, le marché a complètement changé. Les prix des remèdes baissent depuis que les Etats se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas toujours obligés d’accepter les conditions posées par la branche. Cette nouvelle donne entraîne de gros bouleversements.
Galenica tire 69% de son résultat d’exploitation de la vente de médicaments qui ne représente que 20% du chiffre d’affaires. Une cession des autres activités est-elle envisageable? - -
Il faut relativiser la référence au chiffre d’affaires car nous réalisons une partie importante des ventes du secteur pharmaceutique sous forme de revenus de licences qui sont une source de profit immédiate puisque cette activité ne génère pas de charges. Cela dit, nos prévisions de croissance pour les cinq prochaines années ne justifient pas un quelconque splitting de nos différents métiers.
Qu’est-ce qui pourrait néanmoins vous y conduire? - -
Seule une croissance beaucoup plus rapide que prévue de la pharma pourrait nous inciter à nous poser la question. Il serait difficilement concevable de conserver d’autres activités si le bénéfice provenait à 90% de ce secteur. Mais cette hypothèse reste improbable. Si notre stratégie mise sur une certaine diversification, c’est pour contrebalancer les risques de la division pharmaceutique qui est essentiellement active dans les médicaments pour combattre les carences en fer.
Les prix des médicaments sont sous pression. Craignez-vous une nouvelle baisse des prix? - -
Pendant très, voire trop longtemps, les prix n’ont cessé de grimper en raison du lobbying pratiqué par l’industrie pharmaceutique et de la force du franc suisse. Ce qui a conduit à des différences tarifaires trop élevées avec l’étranger. Ce temps est révolu depuis au moins huit ans.
Aujourd’hui, les prix des médicaments brevetés – j’insiste sur le mot breveté – vendus en Suisse sont tout à fait comparables avec ceux en vigueur en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark. Le principal produit de Galenica – Ferinject (contre les carences en fer, ndlr) – est même moins cher en Suisse que dans tous les autres pays européens et il est quatre fois moins coûteux qu’aux Etats-Unis.
Vous critiquez aussi les fausses informations qui circulent à propos des génériques… - -
Il y a des groupes qui continuent en effet d’affirmer que la part des génériques n’est pas assez élevée en comparaison internationale. Mais c’est faux. Voici pourquoi. On vend en Suisse des médicaments brevetés et d’autres qui ne sont plus brevetés. Comme nous sommes un pays très innovateur, une grande majorité des produits sont protégés par un brevet. Au total, il reste seulement une petite part (environ 25%) pour les génériques.
Toutefois, ces derniers n’occupent actuellement que la moitié de cette part (quelque 12% du marché). En effet, les entreprises pharmaceutiques ont abaissé les prix des médicaments originaux qui ont perdu leur brevet pour éviter qu’ils soient concurrencés par des génériques. C’est donc un faux problème.
Mais le prix des génériques est tout de même beaucoup plus élevé qu’à l’étranger… - -
Il est un peu plus élevé. Mais si les prix baissent, l’industrie renoncera à produire certains produits car le marché suisse est minuscule. C’est la réalité, pas de la démagogie. Je regrette que personne ne le dise!
Les caisses maladie dénoncent aussi les marges trop élevées que prélèvent les pharmaciens… - -
Les officines helvétiques travaillent avec les mêmes marges que leurs homologues allemandes, alors que leurs charges sont plus importantes en raison du niveau élevé des salaires et des loyers. Le bénéfice d’exploitation (EBIT) des pharmacies en main de notre groupe ne s’élève qu’à 5%. On ne peut pas dire qu’il est exagéré. Je le dis clairement: si on veut nous réduire ces marges, nous fermerons des pharmacies.
Nous procéderons donc à des licenciements. Et qui perdront leurs emplois? Les collaborateurs les moins qualifiés, les assistantes. De toute manière, ce genre de mesures touchera d’abord les pharmacies indépendantes, qui sont plus fragiles que les chaînes. Il faudrait que le conseiller fédéral Alain Berset lise votre magazine! Plus d’un million de personnes vivent directement ou indirectement du domaine de la santé en Suisse.
Le réseau n’est-il pas de toute façon trop dense? - -
Au centre-ville, c’est le cas. Mais pas dans les quartiers ni dans les régions. Alors comment agir pour obtenir une couverture satisfaisante? En France, en Italie et ailleurs, on doit obtenir une autorisation étatique pour ouvrir une officine. Mais cette réglementation est lourde et elle n’a pas réglé le problème. La liberté économique reste la meilleure manière de réguler le marché, même si elle ne peut résoudre toutes les insuffisances. Notre système de la santé est imparfait, mais il est le meilleur au monde.
La vente en ligne entraînera-t-elle la fermeture de pharmacies? - -
Non. Cette activité n’est pas rentable. Nous le constatons avec notre entreprise MediService qui est le leader helvétique dans ce domaine. Il ne suffit pas d’envoyer des médicaments, encore faut-il des prestations de services complémentaires comme l’accompagnement des patients à la maison. Il n’y a pas de marché pour la vente online en Suisse où cette dernière ne représente que 1% du chiffre d’affaires total. Les consommateurs veulent du conseil et c’est que nous leur donnons.
Parlons maintenant de votre rémunération. En 2012, vous renoncez à tout salaire en espèces. En contrepartie, la société vous attribue 40 000 actions que vous pourrez exercer en 2017. Pourquoi? - -
En 2010, j’avais émis le souhait de me démettre de ma fonction de CEO après l’avoir assumée pendant quinze ans avec celle de président du conseil d’administration. Mais ce dernier n’était pas d’accord. Deux ans plus tard, il a finalement accepté de nommer un nouveau CEO à condition que je reste responsable de la conduite du groupe.
C’est la raison pour laquelle je suis président exécutif. Parallèlement, le conseil voulait que ma rétribution dépende de l’évolution des affaires. Il voulait aussi que je reste entièrement engagé pour Galenica. Comment faire? On a trouvé la solution du paiement en actions bloquées pendant cinq ans. Leur valeur dépendra du succès futur de la société.
Ces 40 000 actions valent au cours actuel environ 35 millions de francs. Ce qui représente une rémunération annuelle supérieure à celle que touche le président de Novartis… - -
Certes, après la progression du cours de l’action! Au départ, le paquet valait la moitié! Mais la rétribution de Jörg Reinhardt est en espèces. Il ne prend donc aucun risque. Son rôle est différent. Je suis président exécutif et je ne suis payé qu’en actions. Je n’ai aucune garantie sur leur valeur en 2017 lorsque je pourrai exercer mes droits. La seule chose qui est certaine: les impôts que je paie! Si c’était si facile, tous les dirigeants m’imiteraient… Il faut avoir confiance en sa stratégie et donc avoir le courage de prendre un tel risque.
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