«Favarger va réussir, je n’ai aucun doute»
L’homme d’affaires Luka Rajic s’exprime pour la première fois sur son parcours, sa fortune, Favarger et ses autres investissements, ainsi que sur sa passion pour la musique classique.
L’homme cultive la discrétion. Il fuit autant que possible les mondanités et n’a donné qu’une seule interview dans sa vie, en 2001 en Croatie, son pays d’origine. Alors qu’il a le souhait de se faire naturaliser Suisse, il a accepté de sortir de sa réserve pour Bilan.
Etes-vous un self-made-man? - -
Je suis parti de rien effectivement. J’étais le dernier d’une famille de sept enfants. Déjà pendant ma scolarité, je devais travailler à côté. Une fois mon service militaire achevé en 1983, j’ai été recruté comme chauffeur pendant six mois pour l’entreprise Dukat. Puis j’ai ouvert un magasin qui vendait des produits alimentaires que j’ai développé avec beaucoup de succès jusqu’en 1990. A la suite de la mort de Tito en 1980, le pays a entamé sa sortie progressive du communisme. J’ai commencé en 1990 en créant RALU Logistika, une société de transport, et LURA Export-Import, active dans l’import-export de biens alimentaires. Elles ont toutes deux connu une croissance importante dans les années qui ont suivi.
Mais n’est-ce pas grâce à Dukat que vous avez fait fortune? Une société acquise pour 15 millions d’euros en 1993 et cédée en 2007 pour 280 millions d’euros? - -
C’est exact. Mais cela n’a pas été aussi simple que cela en a l’air. Beaucoup de travail et d’efforts ont été investis avant et après Dukat. J’ai toujours aimé le volet industriel, la création de produits, leur développement, plutôt que la commercialisation. En achetant Dukat, j’ai trouvé ma voie. Lorsque j’ai acquis ce fabricant de produits laitiers, ses installations étaient en mauvais état et il n’exportait quasiment rien. Par contre, il possédait des recettes de qualité.
J’ai passé énormément de temps à voyager aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis pour prendre de nouvelles idées. Je me suis rendu dans de nombreuses foires d’innovations technologiques, puis j’ai introduit de nouvelles technologies. Beaucoup d’élus politiques, à commencer par le président et son premier ministre, sont satisfaits avec le travail réalisé à cette époque. D’ailleurs, quand Lactalis a racheté Dukat, nous avions les meilleures pratiques au sein de ce groupe international.
Comment expliquer que Dukat ait pris autant de valeur? - -
Dès 1994, j’ai acquis la société Sirela, le 2 e plus grand fabricant de lait et de fromages de Croatie, mais aussi Zadar, une grande entreprise laitière située dans la ville touristique du même nom. Peu après, nous avons mis la main sur Livno, sise en Bosnie-Herzégovine, et active sur le même créneau. En 2003, ce fut le tour de Somboled, en Serbie. En tout, le groupe Dukat comprend onze entités. Il s’est développé dans toute l’ex-Yougoslavie. Beaucoup de gens oublient cette période de croissance externe et interne qui a permis la vente en 2007.
Avez-vous tenté de répliquer l’exemple de Dukat? - -
Effectivement, en 2003, j’ai repris le fabricant de biscuits et de chocolats Karolina, le deuxième plus grand acteur du secteur en Croatie. J’avais les mêmes aspirations de développement que pour Dukat, mais après deux ans, n’ayant pas réussi à acquérir une deuxième société dans ce secteur, la décision a été prise de ressortir. Entre-temps, j’avais aussi décidé de racheter la société Badel Beverages qui détient les franchises Pepsi et Seven Up, entre autres. Mais là aussi, faute de pouvoir les développer, nous avons préféré la revendre, en 2006.
Pourquoi avoir décidé de vendre Dukat? - -
Dukat était alors au top. J’étais à la tête d’un groupe de 3500 personnes avec près de 15 millions de consommateurs très satisfaits. A côté de cela, j’étais l’heureux père de trois jeunes enfants, âgés de 6, 8 et 10 ans. Mais en 2006, nous avons divorcé ma femme et moi. Je n’avais pas prévu de vendre Dukat. C’est en discutant avec le propriétaire de Lactalis, que je connaissais bien, que l’idée est venue. J’ai décidé alors de me consacrer à mes enfants et de me recentrer sur Favarger, acquis en 2003.
Pourquoi vous êtes-vous installé à Genève? - -
J’aime la Suisse, pour sa culture, sa qualité de vie, sa discrétion et la qualité de l’éducation que reçoivent mes enfants, même si je reste fier de mes racines. Quand j’ai voulu m’installer ici, j’ai prévenu le premier ministre qui m’a fait promettre de continuer à investir en Croatie, ce que j’ai fait.
N’avez-vous jamais regretté l’achat de Favarger? - -
Non, au contraire. C’est une très bonne expérience. Je suis fier d’avoir saisi cette opportunité, même si ce n’est pas simple tous les jours. J’y ai finalement investi beaucoup plus que ce que j’avais prévu initialement. Je crois toujours beaucoup dans cette marque. Il faut être conscient que pour une société qui ne suivait plus le marché depuis une vingtaine d’années, il est plus difficile de se remettre en course.
La compagnie n’avait plus suivi les tendances de l’industrie et du marketing. J’ai acheté la Belle au bois dormant. Ce n’était pas facile de la réveiller, mais elle ouvre les yeux gentiment. Je regarde cet investissement sur le long terme. Treize ans, ce n’est pas si long. Je suis un entrepreneur qui n’est pas guidé par le profit mais par le développement et la création. Le profit est une conséquence.
La société est-elle à l’équilibre? - -
Je me réjouis. La direction actuelle a trouvé la bonne voie. La stratégie est claire, les produits sont de bonne qualité et nos consommateurs sont satisfaits. Ce qui me manque, c’est le temps. Le retour sur investissement sera-t-il en 2023, après vingt ans, ou après trente ans? Je ne le sais pas, mais je n’ai aucun doute sur la réussite finale. Au passage, Genève a réussi à récupérer un symbole. J’y ai investi beaucoup de capital familial et d’énergie personnelle.
Comment évoluent les ventes de Favarger? Le record pour la production semble avoir été de 1360 tonnes en 1993, juste? - -
Exact. Mais il faut se souvenir qu’en 1993, si Favarger a pu atteindre ce niveau de production, c’était avec les produits fabriqués pour Goldkenn, un contrat qui a été perdu peu après. Avec 450 tonnes à l’heure actuelle, nous parlons exclusivement de la production sous la marque Favarger. Cela représente près de 200 produits différents. Lors de l’acquisition en 2003, l’objectif était de redémarrer de zéro, avec notre propre stratégie, sans travailler pour des tiers.
Depuis trois ans, les ventes ont augmenté de 20%, cela dans une période difficile du fait d’un franc suisse fort et alors que les ventes du secteur sont plutôt en baisse. Cette croissance est motivante et, avec la tendance actuelle, nous devrions atteindre bientôt une production de 1400 tonnes avec nos propres produits. Cela étant, je rappelle que notre focus n’est pas sur les volumes, mais sur la qualité.
Comment comptez-vous développer les exportations? - -
Nous sommes actuellement sur 17 marchés. Je recherche en permanence de nouveaux partenaires qui peuvent nous offrir une croissance rapide et une distribution accessible. Nous nous orientons sur le marché canadien où nous envisageons d’ouvrir une succursale vu nos résultats très encourageants, idem pour les Etats-Unis, le Moyen-Orient et l’Asie.
Allez-vous poursuivre la stratégie consistant à ouvrir des boutiques en propre? - -
En tant qu’investisseur, je suis plutôt favorable à cette stratégie. Je vise l’ouverture d’une boutique dans chacun de nos principaux marchés, si nécessaire via une franchise. C’est une de nos priorités. Notre stratégie est d’offrir à nos consommateurs la possibilité de connaître et d’apprécier la qualité de nos produits via les boutiques.
Des investissements sont-ils prévus dans votre usine de Versoix? - -
Mon objectif étant de préserver la qualité, je vais continuer à y investir. En 2016, nous avons décidé d’acquérir une machine pour la production de tablettes de chocolat. La technologie suivra le développement des ventes. Je rappelle que Favarger est une des rares manufactures chocolatières qui développent le produit de la matière première – soit de la fève du cacao – au produit final. Il s’agit d’un contrôle de processus à 100% qui est essentiel pour la haute qualité sans compromis. Fabriquer notre propre masse nous revient environ 20 à 25% plus cher que si nous l’achetions à l’extérieur. Cependant, la croissance de nos ventes montre que le consommateur plébiscite notre choix qualitatif. J’entends continuer à investir dans le développement de l’usine.
Qu’en est-il de votre projet de créer un petit musée dédié à la production de Favarger? - -
C’est un projet qui est sur notre liste. Il est important pour nous, mais je pense qu’il est aussi important pour la ville de Genève et son tourisme. Nous aimerions le réaliser avec des partenaires bien choisis et avec l’objectif d’offrir quelque chose d’attractif et d’excitant à notre communauté, ainsi qu’aux touristes. Pour le moment, nous proposons des visites organisées de la fabrique qui remportent un joli succès.
Pourquoi investir dans la pharma? - -
Une des raisons principales était de contribuer à l’économie croate et de créer des places de travail comme je l’avais promis aux élus. De plus, il y avait une opportunité à saisir. La Croatie possède une tradition d’un siècle dans le secteur pharmaceutique, avec des experts reconnus. Or, en 2010, à la suite du rachat d’une grande compagnie croate par le géant israélien Teva, de nombreux professionnels aguerris se sont retrouvés disponibles.
Quelles sont vos ambitions pour Pharmas? - -
Créer une entreprise réalisant un chiffre d’affaires de 30 à 50 millions d’euros, avec 800 salariés, cela au sein de l’Europe centrale, d’ici à 2029. C’est possible en développant des produits innovants. Je pense qu’il y a de la place pour ce genre d’entreprise. Nous avons d’ores et déjà construit deux usines en six ans. Pharma Q est déjà présente dans huit pays, dont la Suisse depuis peu, grâce à un distributeur de Saint-Gall. Je suis l’unique actionnaire de PharmaS, mais je ne suis pas fermé à un partenariat.
Y a-t-il un point commun avec Favarger? - -
Effectivement, comme pour Favarger, ce qui est important c’est la distribution. C’est une belle histoire. Je ne vais pas m’ennuyer. J’aime bien les défis.
La distribution et la logistique, ce sont justement une de vos spécialités, non? - -
RALU Logistika existe maintenant depuis vingt-six ans. Je n’ai jamais cessé de développer cette compagnie qui domine désormais dans l’Est dans le segment du transport frigorifique. Nous avons 200 grands camions et 50 plus petits. RALU dispose de deux grands centres frigorifiques à Belgrade et Zagreb et quatre sous-centres. La flotte a été mise à neuf et arbore les couleurs bleu et orange. Nous transportons beaucoup pour l’industrie italienne, mais aussi pour la pharma et l’alimentaire suisse. Je me réjouis de voir la croissance continue de cette compagnie.
Outre l’horlogerie, le ski et le golf, vous êtes aussi un mélomane. Est-il exact que vous soutenez la musique classique? - -
J’ai toujours beaucoup aimé la musique classique et je soutiens régulièrement des événements de ce type. En avril de cette année, j’ai eu l’honneur de sponsoriser le concert à Zagreb d’un des plus vieux orchestres symphoniques d’Europe, celui de Lucerne. Deux mois plus tard, en juin, j’ai eu le plaisir d’organiser le concert dans mon château du jeune pianiste croate Aljosa Jurinic. C’était l’un des finalistes du prestigieux concours Chopin à Varsovie en 2015.
Mon objectif est d’organiser une fois par année un concert d’un jeune artiste dans mon château à Choully. J’ai aussi le souhait d’organiser la venue de l’Orchestre symphonique de Zagreb en Suisse, en partenariat avec l’Ambassade de Croatie en Suisse et l’Ambassade de Suisse en Croatie. Je suis aussi très fier d’un autre projet en lien avec la musique: je soutiens depuis deux ans un centre musical pour les enfants dans ma ville natale, Konjic.
Parlez-nous de votre château genevois. Quelle est son histoire? Quels travaux y avez-vous réalisés? - -
Le château de Choully a été construit dans les années 1721 par la famille Lullin de Châteauvieux. L’anecdote la plus intéressante est celle en lien avec l’impératrice Joséphine qui y a passé une nuit en 1812 à l’occasion d’une fête donnée en son honneur. J’ai acheté le château en 2007. C’est un privilège de vivre ici pour mes fils et moi. Il a fallu entièrement rénover cette demeure, notamment toutes les installations techniques. Je considère que lorsque vous êtes propriétaire d’un héritage culturel et historique, il est de votre devoir de le maintenir en bon état et d’y investir.
J’aimerais spécialement remercier toutes les personnes qui ont contribué à la rénovation et qui m’ont aidé à donner une autre valeur au château. J’avais acquis une certaine expérience en rénovant deux châteaux en Croatie, dont un qui m’appartient toujours. Depuis huit ans, j’organise régulièrement une fête pour les villageois de Choully, qui m’ont accueilli très chaleureusement depuis le premier jour. En septembre 2017, la Confrérie du gruyère y organisera un de ses chapitres. Je pense que l’on a d’autant plus plaisir d’avoir un château lorsque l’on peut le partager avec sa famille, ses amis et la communauté.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.