TRIBUNE: L’ingénieur: pivot de la transition énergétique
Antoine Lorotte, CEO de FiveCo, fait le point sur le vaste processus de transition énergétique et souhaite replacer au coeur de ce mouvement l'ingénieur, pivot selon lui du passage des énergies fossiles vers les énergies renouvelables.

Début septembre, la veille de la grande marche pour le climat, plus de 700 scientifiques français ont signé une tribune-pétition dans le journal Libération pour demander aux politiques d’agir. Selon eux, dans le cadre de la transition énergétique qui suit son cours, il existerait une liste de solutions disponibles: «diminution de la consommation d’énergie, recours à des énergies décarbonées, meilleure isolation des bâtiments, mobilité repensée évitant les moteurs thermiques, ferroutage…» Doit-on en déduire que le destin de la transition énergétique est tout tracé?
Un processus inachevé
L’opinion croit parfois naïvement qu’il existe une liste de solutions «prêtes à l’emploi» de la transition énergétique; il n’y aurait donc plus qu’à dérouler le tapis rouge aux innovations pour qu’elles révolutionnent notre monde. Ainsi, les objets et les systèmes utilisant les énergies renouvelables n’auraient plus qu’à défiler devant nous. Si on considère un concept stratégique tel que celui de la voiture électrique, par exemple, les chiffres ont vite fait de nous ramener à la réalité: sur 97 millions de voitures neuves vendues en 2018 dans le monde, on compte à peine plus de 1,1 million de véhicules électriques. Certes, il y a une croissance exponentielle des ventes d’années en année (plus de 60 % entre 2016 et 2017), mais le chiffre reste encore bien faible. Elon Musk a réussi à faire rêver la terre entière en envoyant une Tesla dans l’espace ; hélas, son entreprise n’est toujours pas rentable. Pour lancer son projet fou, l’ingénieur US le plus connu au monde – après avoir investi ses propres deniers – a su profiter des largesses du gouvernement Obama en 2009. Ce dernier en effet était bien décidé à encourager les énergies renouvelables. Et une question se pose : où en serait ce projet sans ces subsides ? Enfin le véhicule électrique, loin d’avoir montré patte blanche du point de vue de l’écologie, tombe souvent sous le feu des critiques. En France, par exemple, un rapport de l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a fait parler de lui en 2016. On y apprend que « la voiture électrique consomme moins d'énergie que la voiture thermique [essence, diesel, ndlr], car sa chaîne de traction présente un excellent rendement énergétique. Malgré cela, sur l’ensemble de son cycle de vie, la consommation énergétique d’un véhicule électrique est globalement proche de celle d’un véhicule diesel. » La cause de ce paradoxe étant d’après les experts, que la fabrication des batteries serait extrêmement énergivore. Au travers de ce tableau contrasté, nous voyons bien que, malgré tous les espoirs qu’il suscite ( d’après un sondage récent , 85 % des automobilistes croient en l’avenir du véhicule électrique), la destinée de ce concept ressemble davantage à une route longue et sinueuse qu’à une quatre voies. Et il en va de même de l’ensemble de la transition énergétique. On trouve de nombreux articles scientifiques pour critiquer le bilan des éoliennes, ou encore celui des panneaux solaires ; aussi beaucoup de solutions a priori validées « transition énergétique », restent très controversées, du fait que, bon nombre d’énergies dites renouvelables ne fonctionnant à ce jour que parce qu’elles bénéficient qu’à l’aide de subventions. Or l’augmentation du prix de l’essence à la pompe nous fait prendre conscience qu’il faut accélérer. En effet, comme le prévoient les experts mondiaux depuis des années maintenant, la disponibilité des combustibles fossiles n’est pas acquise à vie ; et pourtant ils assurent encore aujourd’hui 85 % de l’approvisionnement en énergie primaire.
Les renouvelables en quatre grands chantiers
C’est sur ce chemin tortueux et semé d’embuches qu’intervient l’ingénieur pour prendre en main la transition énergétique. En entrant directement dans le vif du sujet, il a pour objectif de finaliser les visions des scientifiques en donnant corps aux quatre grands chantiers des énergies renouvelables : « créer », « transporter », « stocker » et « utiliser ». Pour chacun de ces verbes d’action, l’ingénieur innove et cherche des solutions loin d’être données par avance. Il doit procéder par essais et erreurs, mettre en place des parcours d’innovation, réaliser des prototypes et réfléchir à l’industrialisation. Par exemple, pour trouver de nouveaux procédés afin de créer de l’énergie en améliorant le rendement des panneaux solaires, des éoliennes ou des systèmes de géothermie. Dans le cadre de projets hydroélectriques également, il peut travailler sur le développement de mini centrale à hydrogène. Concernant la thématique du transport, son challenge est de créer de l’énergie qui sera consommée sur place et d’améliorer le rendement des systèmes tout en réduisant les pertes. Son intervention sur les systèmes de stockage est stratégique également et il est nécessaire d’arbitrer entre la possibilité de conserver, d’améliorer le rendement et la durée de vie des batteries (BMS), voire de créer de l’énergie sur demande. Enfin, pour ce qui concerne l’usage de ces technologies, l’ingénieur cherchent à améliorer les interfaces utilisateurs en apportant des solutions pour optimiser la consommation, pour développer les systèmes à la demande (afin d’éviter les pertes de transports) ou à ultra-basse consommation ; bien évidemment, il réfléchit sur les solutions pour isoler (optimisation du chauffage électrique) tout en tenant compte du recyclage des nouveaux items (par exemple les panneaux solaire). Pour chacun de ces quatre chantiers, l’ingénieur doit tenir compte de certains impératifs : maîtrise de la consommation, recyclage, obsolescence programmée, conception de produits réparables….
Cette petite liste, non exhaustive, donne une idée des tâches qui incombent à l’ingénieur dans le projet de la transition énergétique en balisant les grands axes de développement. Force est de constater que son rôle est au moins aussi essentiel que celui du politique. Grâce à son travail, loin d’être une liste de « mots magiques », la transition énergétique peut devenir une réalité bien concrète qui implique un savoir-faire et une maîtrise de nombreuses technologies interdisciplinaires. Et au fur et à mesure que les usages s’améliorent, notre civilisation pourra prendre conscience que c’est au prix de ces innovations moins gourmandes en énergie, qu’elle pourra continuer d’avancer dans le sens des Lumières.
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