Taux de change: ces secteurs qui tirent leur épingle du jeu
Si l’industrie d’exportation est réellement en crise en raison du franc fort, d’autres y trouvent des avantages. Tour d’horizon.

La règle est simple. Plus vous avez de salaires et de charges à payer en Suisse alors que votre clientèle est à l’étranger, plus vous souffrez du franc fort. Corollaire, plus vous achetez de marchandises en zones euro et dollar pour les distribuer en Suisse, plus vous gagnez d’argent. Ce dernier principe s’applique en premier lieu aux sociétés importatrices, accusées de ne pas toujours répercuter ces gains sur les prix. Les plus vernis étant ceux qui font du pur trading, sans opérer de transformation aux articles qu’ils revendent.
Une mine d’or pour les importateurs Patron du fabricant de détecteurs fribourgeois Contrinex, Peter Heimlicher s’est livré à un bras de fer avec plusieurs importateurs de composants fabriqués en Asie. «Nous les avons menacés de suspendre notre relation d’affaires s’ils ne nous facturaient pas leur marchandise en dollars. Ils ont plié, ce qui pour nous signifiait une économie d’environ 30%. Ces fournisseurs sont assis sur une mine d’or.» «Entre le début de cette année et le mois de juillet, le prix de nos achats auprès d’un importateur n’a pas baissé, alors que l’euro a chuté de 1,33 à 1,15 franc. Nous lui avons demandé un certificat d’origine du produit pour savoir où il s’approvisionnait. Ce qu’il a refusé», témoigne François Schoch, directeur général et actionnaire du groupe First Industries, à Crissier (VD). «Les industriels helvétiques ont toujours été désavantagés par rapport à leurs concurrents européens pour s’approvisionner en produits semi-finis. Les importateurs présents en Suisse bénéficient de rentes de situation et imposent des prix qui relèvent du racket», renchérit Philippe Maquelin, membre du conseil d’administration de Tornos à Moutier.
Soupçons d’accords verticaux Les entrepreneurs helvétiques se plaignent notamment des filiales locales de groupes allemands, comme Thyssen et Festo. Les sociétés importatrices ont sans surprise rechigné à répondre à nos questions. Une firme nous a indiqué qu’elle a baissé ses prix de 5 à 18% au 1er septembre dernier. Pour justifier ce long délai, le collaborateur invoque la hausse des matières premières qui compensait l’effet de change. «Il y a des moutons noirs, comme partout, répond Max Herzig, président de Commerce Suisse, la Fédération suisse des importateurs et du commerce de gros et directeur de Carl Spaeter, importateur bâlois de métal. De notre côté, nous appelons tous nos membres à adapter les prix sur une base journalière.» Hans-Ulrich, Bigler, directeur de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), est méfiant. «Nous suspectons l’existence chez les importateurs d’accords verticaux, soit des ententes entre les différents acteurs d’une même chaîne de production. A notre sens, il n’y a pas besoin de renforcer la loi sur la concurrence si les autorités font appliquer le droit actuel.»
La Comco lance un appel Au sein de l’Administration fédérale, la Comco (Commission de la concurrence) a mis en ligne le 2 août sur sa page d’ouverture (www.weko.admin.ch) un document qui permet de dénoncer même anonymement les abus. Patrik Ducrey, chef du Service industrie et production du secrétariat de la Comco, lance un appel en direction des firmes: «Nous avons reçu environ 250 annonces, qui proviennent davantage de consommateurs que des entreprises. Nous ne pouvons malheureusement pas agir sans que l’on nous signale des faits.» Suite à une dénonciation, la Comco a ainsi ouvert une enquête à l’encontre de Nikon pour une éventuelle entrave aux importations parallèles de ses produits. BMW est aussi dans le collimateur car les concessionnaires automobiles allemands ne vendraient pas cette marque aux clients venus de Suisse. Les contrevenants risquent des amendes qui se chiffrent en millions de francs.
Les multinationales font leurs emplettes Le franc fort n’a pas que des inconvénients. Les entreprises helvétiques implantées en zones euro et dollar profitent du change pour faire des acquisitions à bon prix. La pharma bâloise Lonza a acheté la société américaine Arch Chemicals pour 1,25 milliard de francs et pourra ainsi réduire l’impact du franc sur ses comptes. Autres achats importants: les bâloises Novartis et Clariant ont repris respectivement l’américaine Genoptix et l’allemande Süd Chemie. Le zurichois ABB a repris l’américain Baldor Electric, tandis que le zougois Meyer Burger s’offrait l’allemand Roth & Rau.
Frontaliers: un jackpot temporaire Autre conséquence de l’appréciation du franc: toucher un salaire suisse et le dépenser de l’autre côté de la frontière équivaut à une progression du pouvoir d’achat de 30%. «Travailler en Suisse tout en résidant en France est devenu très intéressant, note David Talerman, fondateur du site Travailler-en-Suisse.ch. Cependant, il n’y a pas de ruée de frontaliers vers la Suisse car ce n’est pas un choix que l’on fait en fonction d’un taux de change, variable par définition. Avec un euro à 1,68 franc, les travailleurs de l’Hexagone étaient au contraire pénalisés.»
Importations parallèles de voitures: le boom «Lorsque l’euro est passé sous 1,05 franc, ça a été la folie.» Patron d’Autociel.ch à La Conversion (VD), Markus Häfeli vend des véhicules valant au catalogue suisse plus de 50 000 francs en importation directe. Ces six dernières semaines, il a reçu entre quarante et cinquante téléphones par jour de clients intéressés. La différence de prix qu’il offre peut atteindre 32% pour les modèles les plus chers. Des estimations indiquaient récemment qu’en Suisse, trois Porsche neuves sur dix auraient été acquises directement dans l’Union européenne. Un engouement que confirme Andreas Burgener, directeur d’auto-suisse, l’association faîtière des importateurs d’automobiles. Ainsi, les importations directes ont doublé entre janvier et juin 2011, par rapport à la même période de l’année précédente. Leur proportion sur le total des ventes a passé de 3 à 6%. «Dans les régions frontalières, des garagistes étrangers viennent carrément démarcher en Suisse, en offrant les facilités d’usage pour les assurances et l’immatriculation.» Les importateurs officiels ont attendu autant qu’ils ont pu avant d’adapter leurs prix. Mais ils rivalisent maintenant d’imagination pour octroyer des rabais qui s’élèvent d’entrée à 20% chez Mercedes par exemple.
Perspectives
Horlogers confiants mais prudents Le risque d’un coup de frein brutal est faible tant que la demande asiatique reste forte.
Jouissant d’un monopole de situation, les horlogers suisses ne sont pas soumis à une concurrence internationale féroce, ce qui leur laisse une plus grande marge de manœuvre sur les prix. Cela étant, les hausses de prix acceptables réalisées jusqu’ici à l’étranger ne compensent pas du tout l’appréciation du franc. Cherté du franc mise à part, la situation demeure excellente sur le front de la demande, et pratiquement tous les acteurs s’attendent à un nouveau bon millésime, voire à une année record. Lors d’une récente réunion de sous-traitants horlogers dans les Montagnes neuchâteloises, plusieurs patrons présents avouaient cependant réfléchir «à deux fois» avant d’engager des collaborateurs supplémentaires. Le traumatisme de 2008 est encore dans toutes les mémoires. Les exportations horlogères affichaient encore une croissance de 15% en septembre 2008 (par rapport à septembre 2007); quatre mois plus tard, la chute était de 21%. Si l’histoire a démontré au cours des dernières décennies que l’industrie horlogère avait tendance à «surréagir» aux fluctuations économiques, la réalité est sans doute autre aujourd’hui. Le risque d’un coup de frein brutal est faible tant que l’Asie garde le sourire. Car la bonne santé de l’horlogerie suisse tient aujourd’hui essentiellement à la force de la demande asiatique – et en particulier à celle de la Chine. Cette dépendance n’est évidemment pas sans risque. Un coup de froid en Orient et c’est toute l’horlogerie suisse qui s’enrhume.
Michel Jeannot
Ambassades
Sale temps pour les missions diplomatiques Budgets et salaires souffrent de la chute de l’euro et du dollar.
C’est du jamais vu! Les employés de l’ambassade du Portugal à Berne et de ses missions diplomatiques de Genève, Sion, Zurich et Lugano se sont mis en grève mardi 30 août pour protester contre la diminution de leur salaire. Celle-ci est double: la cure d’austérité décidée par Lisbonne a entraîné une ponction générale des revenus du personnel de l’Etat, tandis que la chute de l’euro face au franc a induit une baisse du salaire réel. Certains sont ainsi passés de 4500 francs par mois à 3000 francs, soit une baisse de 33% en quelques mois! Les factures, elles, continuent d’être comptabilisées en francs suisses… Les missions des pays de l’Euroland ne sont pas seules à être pénalisées, le dollar ne se portant pas mieux face au franc. Le billet vert sert de monnaie de référence pour la plupart des pays du monde. Sous le couvert de l’anonymat, un employé d’un petit pays d’Amérique latine indique avoir perdu un quart de son revenu en une année. Renouvelé chaque année, son contrat a été signé en septembre 2010 alors que le dollar était établi à 1,03 franc. Ces dernières semaines, il s’est maintenu sous la barre de 0,80 franc. Les missions elles-mêmes sont à la peine pour payer leurs frais (loyer, téléphone, représentation, etc.). La capitale pourrait bien accorder une rallonge budgétaire à sa mission suisse, mais ses homologues établis dans des pays où la monnaie a crû face au dollar réclameraient également une compensation. Et les frais supplémentaires se répercuteraient sur le budget gouvernemental.
Marc Guéniat
Crédit photo: Fabrice Coffrini/AFP, THOMAS KIENZLE/AFP
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