Rendre désirable une économie durable
Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour que le redémarrage de l’économie post-Covid se fasse sur des bases plus durables, les gouvernements hésitent à s’engager sur cette voie. Avec le festival Alternatiba Léman, qui se tiendra à Genève du 21 au 26 septembre, débats, conférences, films et ateliers visent à convaincre que cette nouvelle économie peut enthousiasmer et non déprimer.

C’est l’un des grands débats des politiques de soutien à l’économie en pleine crise du Covid: les gouvernements de la plupart des pays ont engagé des sommes considérables pour sauver les compagnies aériennes et autres acteurs du secteur de la banqueroute. En Allemagne, un plan de plus de neuf milliards d’euros a été déclenché pour le groupe Lufthansa, dont les compagnies filiales devraient également bénéficier du soutien des états concernés, comme Swiss qui devrait toucher plusieurs centaines de millions de francs de la part de la Confédération. Sans compter les aides aux autres acteurs de la branche.
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Mais ces aides interviennent quelques mois après les grèves pour le climat et le décollage du flygskam (la «honte de voler») en Europe. D’où une polémique née rapidement sur la pertinence de ces aides pour des sociétés qui permettent de traverser les mers pour un week-end sans tenir compte des externalités climatiques. «Les interrogations sur, par exemple, le financement du secteur aérien sont légitimes mais ces questions se heurtent à une peur collective concrète sur l’emploi qui va malheureusement balayer les enjeux fondamentaux comme le changement climatique et l’économie résiliente. Cela vient du fait que l’économie a toujours été positionnée comme le moteur du bien-être et d’une croyance que sans une économie forte, nous ne pouvons pas financer les couvertures sociales et garantir la sécurité de la population», analyse Carole Zgraggen Linser, présidente de la Chambre de l’économie sociale et solidaire de Genève, Après-GE .
Quels indicateurs pour l'épanouissement?
Des stratégies de relance sur la base d’outils et d’acteurs classiques qui dérangent certains partisans du changement. Et de pointer du doigt des actions positives engagées souvent par les collectivités locales, tandis que l’échelon national est plus difficile à bouger. «Accélérer la transition est plus facile à l’échelle municipale/communale que nationale car il n’y a pas de pression du PIB comme indicateur», observe René Longet, expert en développement durable et auteur d’ Un plan de survie de l’humanité aux éditions Jouvence.
Des indicateurs et des modèles d’affaires qui continuent de servir de métriques uniques pour évaluer la réussite d’une société. L’exemple du Bhoutan qui a remplacé le PIB par un indice du Bonheur national brut peine à convaincre au-delà de l’aspect anecdotique. Mais aux yeux des partisans de ce changement systémique, il est valable. Et d’ajouter que le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) a adopté un autre indice qui fête cette année ses 30 ans: l'indice de développement humain, mis au point en 1990 par l’économiste indien Amartya Sen et l'économiste pakistanais Mahbub ul Haq, et perfectionné en 2010 sous forme d’indice de développement humain ajusté selon les inégalités (IDHI).
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Comment expliquer que ces outils n’aient pas supplanté le PIB et le PNB? Pourquoi les gouvernements et les grandes entreprises n’ont-ils pas encore majoritairement adopté d’autres modèles? «Les dirigeants politiques et économiques sont dans un dogme (issu de l’expérience, formations, ancrage politique et grandes faîtières économique) qui entravent gravement leur capacité de changement. Etre sur les marchés ouverts pour les grandes entreprises est encore un facteur aggravant. Les vrais changements devront venir du citoyen, du consommateur et du dirigeant de PME/Startup», estime Christophe Barman, entrepreneur, fondateur de Loyco et membre du comité de soutien à l’ Initiative pour les multinationales responsables .
A l’échelon local cependant, communes et cantons ont largement accompagné des initiatives privées et associatives pendant la crise du Covid et discutent actuellement d’une prolongation de ces politiques. Ainsi, Sébastien Flury, fondateur de la plateforme Local-Heroes , a vu des appuis affluer bien après le pic de la crise sanitaire et le lancement du déconfinement: «Quelques mois après le lancement à succès de la plateforme Local-Heroes.ch, qui permet à la communauté de rapidement trouver les producteurs et commerçants autour de chez soi, nous avons eu le plaisir de nouer un partenariat avec La Vaudoise , qui nous aide à renforcer le développement de la vision développée au sein de notre équipe: soutenir les producteurs et artisans locaux en leur fournissant des outils de digitalisation simples et accessibles».
Le recours au local pendant le confinement
Car c’est bien souvent là que le bât blesse pour de petits acteurs locaux. Certes, de nombreux consommateurs se sont tournés vers les producteurs et artisans locaux pendant le confinement. Mais rares sont ceux qui ont prolongé cette voie une fois le déconfinement opéré. «On parle de 10% de personnes qui ont poursuivi, après confinement, leurs achats orientés local. Le commerce local souffre d’une part d’une fragilité «marketing» qu’ils ne peuvent souvent pas assumer. D’autre part, une majorité des client sont séduits par la facilité - ou plutôt la simplicité - d’usage. S’il faut faire dix magasins différents pour ses courses (boucher, boulanger, primeur, fromager, etc), autant aller directement au supermarché. Mais les services annexes comme la livraison coûtent et le business model est fragile pour les petites structures qui n’ont pas la taille critique pour offrir des avantages aux clients. Miser sur le côté émotionnel du local ne suffit pas, il faut pouvoir proposer des avantages aux clients pour les inciter à changer», constate Carole Zgraggen Linser.
Face aux défis majeurs que représentent pour l’économie le bouleversement climatique, la robotisation et le changement générationnel qui incite de nombreux jeunes actifs à réévaluer leurs priorités, Christophe Barman estime que les entreprises, sous peine de disparition, devront évoluer dans trois directions: Agilité organisationnelle (liberté, confiance, décentralisation du pouvoir, etc), durabilité (revoir la notion de performance en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux) et digitalisation (automatiser tout ce qui peut l’être, définir et accompagner les collaborateurs vers ces nouveaux métiers). «Ces trois évolutions sont inéluctables et je suis donc confiant sur le fait que la plupart des entreprises feront ces choix. La seule vraie question est donc: l’ensemble de l’économie les fera-t-elle suffisamment vite pour sauver notre monde? C’est ce besoin de vitesse qui justifie l’interventionnisme étatique», explique l’entrepreneur genevois.
«L’économie sociale et solidaire montre la voie avec les pionniers dans différents secteurs (habitation, mobilité, agriculture notamment) car ce sont bien souvent des initiatives innovantes à la fois dans la proposition du service/produit (sans emballage, location d’objets) que dans la forme de gouvernance interne (coopérative, association). Mais cela ne suffira pas. Des progrès dans des grandes entreprises ont forcément un effet de levier énorme et touchent davantage de monde. Les villes sont moteurs dans cette transition car elles doivent trouver rapidement des solutions liées aux contraintes (pollution, densité, mobilité, etc)», développe Carole Zgraggen Linser. Encore une fois l’échelon local et celui de l’entreprise, plutôt que le niveau national, plus délicat à mettre en branle. Et qui pose d’autres questions: «Le local est une notion que les sociologues aiment déballer - le local commence et s’arrête où? Quelles sont nos interdépendances (solidaires) avec d’autres communautés dans le monde? On s’approvisionne localement pendant la pandémie, mais on a intégré beaucoup d’aliments d’ailleurs - le café, le chocolat…. Et prendre d’assaut la campagne genevoise en 4x4 pour acheter ses légumes, ce n’est pas non plus ‘durable’. Il faut intégrer un approvisionnent alimentaire sain et durable dans le quotidien de tout un-e chacun-e, en réfléchissant aux liens entre alimentation et mobilité par exemple», souligne Marlyne Sahakian, professeure assistante en sociologie à l’ Université de Genève .
Démonstrations, exemples, bonnes pratiques
Une réflexion globale que portent les organisateurs d’ Alternatiba Léman chaque année depuis six ans. «Il est aujourd’hui nécessaire de conduire le territoire vers une forme de résilience et de neutralité carbone. Pour cela, nous devons miser, entre autres, sur l'agroécologie, la mobilité douce, la consommation responsable, l'éco-habitat, la finance éthique, le zéro déchet, les énergies renouvelables, la nature en ville, la biodiversité urbaine, tout en renforçant les liens de solidarité», professe Charlotte Nicoulaz, co-présidente du comité d’organisation du festival, qui se tient cette année à Genève du 19 au 26 septembre. Un credo reprise par sa collègue Céline Perino: «Des centaines d’organisations sont actives pour la transition à Genève et il est important de les soutenir et de les valoriser. A l’heure de l’urgence climatique et de la perte de la biodiversité, nous avons tous besoin de participer activement à la sauvegarde de notre planète».
Cependant, face à des citoyens/consommateurs qui peinent à modifier durablement leurs habitudes, comment transmettre le message et convaincre? «La sensibilisation ne suffit pas, le changement social passe par les démonstrations, les mises en pratique. Les mesures de semi-confinement étaient des changements de ce genre; maintenant, est-ce que certaines bonnes pratiques sont restées? Est-ce que les habitudes, normes, routines ont changé dans le temps?», s’interroge Marlyne Sahakian. «Je crois aux effets d’entraînements positifs qui rendent les anciens business models obsolètes. On doit se réjouir, fêter et partager un maximum ces nouveaux succès. Les rendre incontournables. Il faut également des incitations légales et fiscales urgemment (taxes à l’importation, allégements fiscaux liés à la durabilité)», lance pour sa part Christophe Barman.
«Être capable de mettre en œuvre des changements doit être encouragé. Pour l’instant, les mutations holistiques des modèles d’affaires sont quand même rares. Si on multiplie les «petits pas», cela a l’avantage d’embarquer plus de monde sur la voie du changement. Il faut à la fois des modèles de rupture et à la fois des changements plus progressifs», appuie Carole Zgraggen Linser, qui poursuit en assurant qu’«il s’agit d’un changement de référentiel et non de modifications mineures dans le système actuel. Ce changement de paradigme prend du temps et va provoquer d’énormes résistances. Il faut en être conscient, célébrer les succès et faire en sorte de rendre désirable cette nouvelle économie».
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