Limiter les salaires: la fausse bonne idée
A nouveau, la gauche attaque le système de rémunération helvétique. Son initiative 1:12 aurait des effets potentiellement dévastateurs sur l’économie suisse.
Le 24 novembre prochain, les Suisses voteront pour limiter les rémunérations des plus hauts cadres. L’initiative 1:12, lancée par la Jeunesse socialiste suisse (JSS), demande que le salaire le plus élevé dans une entreprise ne puisse pas être douze fois supérieur au salaire le plus bas.
Conscients des effets catastrophiques de cette initiative, le Conseil fédéral, le Parlement et la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances recommandent de la rejeter. Tout comme les partis de droite et même une certaine frange du Parti socialiste. Les milieux économiques et les grands patrons, dont certains menacent déjà de quitter la Suisse en cas d’acceptation, s’y opposent farouchement.
Le CEO de Glencore, Ivan Glasenberg, dégainait le premier en annonçant dans la SonntagsZeitung du mois de mai qu’il irait s’installer sous des cieux plus cléments si l’initiative devait passer: «Il y a assez d’autres pays qui seront contents de nous accueillir», a lancé celui qui vient pourtant d’obtenir la nationalité helvétique et dont l’entreprise paie chaque année des centaines de millions d’impôts au pays.
Ivan Glasenberg met en garde: «Cette initiative pourrait poser de gros problèmes à des entreprises comme Nestlé, Novartis et Roche.» Le président de Nestlé Peter Brabeck s’est voulu rassurant dans la Handelszeitung du mois d’août, excluant pour l’heure l’option de quitter la Suisse. Il confirme cependant que cette loi serait désastreuse pour l’économie helvétique.
Le Groupement des entreprises multinationales (GEM), qui représente 80 multinationales dans la région valdo-genevoise, va dans son sens: «Cette initiative constitue un très mauvais signal pour la place économique et les emplois en Suisse.»
Pour mémoire, les activités des entreprises multinationales contribuent à 43% au PIB du canton de Genève et à 41% au PIB du canton de Vaud. Ces entreprises génèrent 76 000 emplois directs à Genève et 88 000 dans le canton de Vaud.
«Les multinationales évoluent dans un monde globalisé et très concurrentiel et doivent bénéficier des meilleures conditions-cadres possibles. La liberté contractuelle, notamment en matière de fixation des salaires, en fait partie», rappelle le GEM.
La Cité de Calvin est particulièrement exposée au risque de délocalisation, dans la mesure où elle accueille de nombreuses entreprises multinationales qui assurent des salaires supérieurs à la moyenne.
Par ailleurs, les rémunérations y sont les plus élevées de Suisse, selon le rapport d’analyse de Standard & Poor’s du 15 janvier 2013: «Ce qui est favorable pour les finances cantonales, puisque près de 50% des recettes cantonales proviennent de l’impôt sur le revenu.»
En outre, les contribuables disposant d’un revenu imposable égal ou supérieur à 500 000 francs génèrent 19,5% des recettes fiscales. Par conséquent, si les salaires élevés sont réduits ou s’ils viennent à ne plus être versés en Suisse suite à la délocalisation des postes correspondants, l’Etat perdra des sommes considérables.
Les PME aussi concernées - -
Même si moins de 1% des 300 000 PME en Suisse sont touchées par le différentiel salarial 1:12, ces dernières ne sont pas moins inquiètes.
«Car les répercussions économiques vont toucher tout le monde», prédit Nicolas Brunschwig, directeur de Bongénie et président de la Fédération des entreprises romandes. Très préoccupé, ce dernier ne mâche pas ses mots: «Il faut arrêter d’émasculer l’économie et le capitalisme en Suisse si on ne veut pas ressembler à une république bananière.»
Même avis provenant du Groupement des banquiers privés par la voix de Grégoire Bordier: «Cette initiative constitue une intrusion choquante de l’Etat dans le fonctionnement des entreprises. De plus, elle risque de mettre en péril la prospérité de la Suisse et son tissu industriel.»
Las d’être déjà attaqués de toutes parts sur le secteur bancaire, les banquiers mettent en garde quant aux nouveaux affronts qui pourraient affecter l’industrie. Patron de Hublot, Jean-Claude Biver pense quant à lui que les perdants seront avant tout le peuple et le fisc helvétiques, «car les grands patrons s’arrangeront toujours pour avoir des contrats facturés ailleurs qu’en Suisse».
Résultat, ces derniers seront gagnants en payant moins d’impôts alors que la Suisse en percevra moins. Optimiste de nature, Jean-Claude Biver croit cependant au bon sens du peuple et n’imagine pas une seconde que l’initiative puisse être acceptée.
Pour sa part, la Fondation Ethos, qui regroupe 143 investisseurs institutionnels suisses, a préféré ne pas prendre position sur cette initiative alors que son cheval de bataille a longtemps été de lutter contre les rémunérations abusives. A chacun de l’interpréter comme il le souhaite.
Enfin, le conseiller d’Etat socialiste neuchâtelois Laurent Kurth affirme qu’il votera «oui» par principe le 24 novembre prochain, mais il émet de nombreuses réserves sur l’efficacité de cette loi. Premièrement à cause des lourdeurs administratives que cela engendrera pour l’Etat.
Ensuite, parce que l’outil paraît inefficace et peut aisément être détourné par la création de filiales étrangères. Et, finalement, parce qu’il s’agit d’un nouveau message peu favorable à la Suisse, qui est envoyé encore une fois à la communauté internationale.
Le modèle suisse en péril - -
Mais avant les menaces de délocalisation et les potentielles pertes financières pour l’AVS et le fisc – l’étude de l’Université de Saint-Gall mandatée par l’Union suisse des arts et métiers (USAM) parle de milliards de pertes annuelles pour la Confédération et les cantons – c’est le modèle suisse des conventions collectives de travail qui est en jeu.
En intervenant par la contrainte dans la politique salariale des entreprises, l’initiative remet en question le dialogue entre partenaires sociaux, l’un des grands atouts compétitifs de la Suisse en tant que place économique.
Aujourd’hui, syndicats et patronats sont d’accord sur le fondement du partenariat social qui a été créé pour laisser l’Etat en dehors du système. «Historiquement, cette paix du travail a permis à la gauche et à la droite de se rapprocher.
Tant la Suisse politique que la Suisse économique ont bâti leur solidité en développant un sens aigu du dialogue», explique Olivier Meuwly, historien des partis politiques.
«La Suisse a cultivé l’art du compromis au fil du temps pour garantir sa survie. Ainsi, elle est parvenue à résoudre ses conflits sans recourir à la violence, par la discussion, par l’acceptation, parfois douloureuse, du point de vue de l’autre», rajoute l’auteur de 75 ans de paix du travail .
L’ouvrage rappelle que la paix du travail se dresse comme l’un des ressorts du système helvétique où l’Etat reste au second plan, ce qui ne l’empêche pas de donner des impulsions le moment venu, mais toute initiative incombe au secteur privé.
Dès lors, Olivier Meuwly prévient: «Si l’initiative est acceptée, l’appareil administratif ouvrira la porte à une intrusion marquée de l’Etat, et ce dernier ne s’arrêtera pas là.» Alors que, comme l’a montré l’exemple récent de Lidl – qui a augmenté son salaire minimum à 4000 francs – les négociations sont possibles sans l’intervention de l’Etat.
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