La Suisse romande n’attire plus les exilés fiscaux
La région lémanique est restée relativement séduisante pour les familles fortunées avec enfants, mais elle a perdu des avantages auprès de ceux qui se domicilient pour des motifs fiscaux.
Difficile d’être catégorique quand on tente de mesurer l’évolution de l’attractivité de la Suisse, en particulier de la Suisse romande. Il existe peu de données qui permettent d’avoir une vue quasiment en temps réel. Voici les quelques éléments chiffrés: le nombre de contribuables imposés selon la dépense (plus communément appelé au «forfait fiscal») à la fin de 2016 a diminué au niveau fédéral (5046, soit -336 en deux ans). Sur Genève, on est passé de 712 personnes fin 2011 à 638 fin 2016, soit un recul supérieur à 10%. Sur Vaud, la baisse est marquée également : de 1359 fin 2011, ce nombre s’élève désormais à 1218, un repli identique à la région genevoise.
Lire aussi: Dans quels pays vont s'installer les millionnaires?
Une autre donnée intéressante concerne les acquisitions immobilières. Si l’on prend les données disponibles sur Genève fin octobre (sur dix mois), on constate que sur les 37 transactions portant sur des biens d’une valeur d’au minimum 5 millions de francs, seules six d’entre elles concernent des non-résidents. Or, lors des dix premiers mois de l’année 2012, par exemple, il y en avait environ seize, sur un total de transactions similaire. Ce qui signifie une diminution de plus de 60% des achats de propriétés de prestige de la part d’étrangers.
Dans une réponse à une interpellation rédigée en juin 2015 et portant sur la baisse d’attractivité du canton, le Conseil d’Etat vaudois confirmait «un tassement des recettes dans les comptes 2014 ainsi qu’une évolution négative de la population des contribuables imposés d’après la dépense».
Une statistique récente vient encore renforcer ce constat pour Vaud: le contingent dont bénéficie le canton pour l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger est loin d’être épuisé. En 2016, sur 175 unités autorisées par Berne, seules 34 ont été vendues, dont la moitié pour la région Lavaux-Riviera. En 2017, la situation est encore pire: au 3 novembre, seules 4 unités sur 175 ont été utilisées...
Dernier indicateur: selon un rapport présenté le 1 er novembre dernier par le Conseil fédéral, le taux de personnes installées en Suisse grâce aux mesures d’encouragement mises en place par la Promotion économique a baissé, passant de 4% en 2013 à moins de 3% l’an dernier.
Concurrence étrangère -
A côté de ces quelques données, nous avons voulu analyser la situation récente auprès de plusieurs courtiers actifs dans l’immobilier haut de gamme, de fiscalistes et de directeurs de grandes écoles privées. Il en ressort une photographie moins négative. L’attractivité varie énormément selon le profil des individus. Leur âge et le fait qu’ils aient ou non des enfants encore mineurs jouent un rôle primordial.
«Pour une personne dont le seul motif est d’optimiser sa situation fiscale, la Suisse n’est clairement plus en tête des destinations, résume Denis Boivin, responsable pour la Suisse des questions fiscales et juridiques chez BDO . La Suisse n’est plus une des seules alternatives pour les gens envisageant de s’exiler. Beaucoup d’autres Etats ont mis en place des solutions intéressantes et attirantes, à commencer par le Portugal et Malte, surtout pour les personnes n’exerçant pas d’activités», ajoute-t-il.
Ses propos sont corroborés par les faits: le chanteur Florent Pagny a choisi de s’installer au Portugal «parce qu’il n’y a pas d’impôt sur la fortune et, pendant dix ans, pas d’impôt sur les royalties». Idem avec le footballeur Eric Cantona, l’actrice Monica Bellucci, le designer Philippe Starck, l’entrepreneur franco-suisse Jacky Lorenzetti ou encore la chanteuse Madonna. Quant à Malte, c’est la destination qu’a choisie le célèbre collectionneur suisse Jean Claude Gandur.
L’avocat fiscaliste Philippe Kenel relève pour sa part que ceux qui choisissent le Portugal sont ceux qui disposent d’une fortune «plus modeste», soit allant de quelques millions à 50 millions de francs environ. Il admet installer moins de personnes au forfait en Suisse qu’il y a quelques années: «Durant longtemps, j’en accompagnais entre quinze et vingt par année. Désormais, c’est plutôt une dizaine de familles par année, par contre leur fortune est plus élevée.» A ses yeux, la Suisse romande reste attractive pour les ressortissants étrangers, grâce au maintien du forfait fiscal.
«La Suisse a réussi à stabiliser politiquement et juridiquement l’imposition selon la dépense, c’est un atout. Je le vois avec mes clients. Mais il est vrai qu’il est désormais plus onéreux aussi de s’y installer puisque le minimum imposable est de l’ordre de 400 000 francs. Dès lors, le niveau des fortunes des gens qui viennent est plus élevé qu’auparavant, ce qui n’est pas plus mal pour le pays.»
Les écoles privées, un atout -
L’un des professionnels de l’immobilier contactés diverge légèrement: «Les gens qui ont beaucoup d’argent (plus de 300 millions de francs) ont compris que la Suisse n’est plus ce qu’elle était: le secret bancaire pour les non-Suisses a disparu et le niveau de sécurité a baissé. Une partie de ces gens superfortunés quitte le pays. J’ai actuellement cinq familles dans ce cas de figure.» Les familles en question partent soit au Portugal, «un pays chaud et tranquille», soit aux Etats-Unis.
Un de ses confrères, spécialisé dans les biens de prestige, relève un regain d’intérêt en fin d’année, «à cause de certaines incertitudes, notamment le Brexit». Ainsi, il évoque une famille française ayant cédé sa société et qui n’envisage plus de partir à Londres. Pour l’heure, elle loue un bien ici. Ce courtier a également un ressortissant d’un pays nordique qui vient d’emménager dans la région, de même qu’un Anglais. «Ils choisissent Genève lorsqu’ils ont des enfants et recherchent des écoles privées parfaitement bilingues.»
Lire aussi: Brexit : des opportunités en or pour la Suisse
Ce constat est confirmé par Alain Moser, propriétaire de l’ école du même nom . «Les autorités en parlent peu, mais il est vrai qu’il existe une offre exceptionnelle d’écoles privées proposant une grande variété de diplômes. C’est fondamental pour l’attractivité de la région. Lorsque des expatriés doivent suivre leur société et se délocaliser, leur première question est : y aura-t-il une bonne école adaptée à nos enfants? C’est fondamental dans la décision de s’expatrier ou non. Cela étant, les entreprises ne sont plus aussi généreuses avec leurs expatriés. La pratique a changé. Ce qui enlève un peu d’attractivité.
Je connais trois familles qui pensaient quitter Londres après le Brexit et venir s’installer dans la région. Mais elles y ont renoncé du fait de la difficulté à trouver des logements à des prix abordables.» Un des courtiers constate lui aussi que les gens actifs dans la banque d’affaires qui décident de quitter Londres vont plutôt à Hambourg et Paris. Le Brexit profiterait très peu à Genève.
La question capitale des droits de succession -
Le maintien du forfait fiscal a permis à la Suisse romande de préserver une part de son attractivité, mais dans les cantons lémaniques, un avocat contacté relève que les administrations ont renforcé leur position concernant les forfaitaires qui exercent encore des activités professionnelles à l’étranger: «Nous assistons actuellement à un durcissement. Les administrations vaudoise et genevoise ne souhaitent pas être accusées un jour de laxisme.»
Pour sa part, le fiscaliste Philippe Kenel pointe la question des droits de succession en cas de décès d’un forfaitaire: «Le Canton de Genève impose à 6% le conjoint survivant et à 6% le descendant direct. Sur Vaud, le conjoint survivant ne paiera rien, tandis que pour le descendant direct le taux varie entre 1,75% et 3,5. En Valais, c’est 0%.» Bref, pour un forfaitaire âgé, ce taux devient un élément déterminant.
Christophe Gudin, à la tête de l’ Institut Le Rosey à Rolle (VD), discute fréquemment avec les parents de ses internes: «L’image de la Suisse auprès des parents reste excellente. Aux yeux des Asiatiques, la Suisse est synonyme d’air pur et de nature. Pour les ressortissants d’Amérique latine, c’est avant tout le sentiment de sécurité qui reste un atout majeur de notre pays. Pour tous, c’est le sentiment d’une terre d’accueil sur laquelle toutes les cultures et toutes les religions cohabitent harmonieusement. Il y a très peu de pays où le monde entier se sent à l’aise d’envoyer ses enfants en internat. Même les Etats-Unis sont parfois sciemment évités par certaines familles roséennes. C’est pourquoi il nous serait difficile d’envisager un Rosey hors de Suisse.» Rappelons que cette école possède le plus grand internat de Suisse, avec quelque 400 élèves.
Lire aussi: Comment des internats draguent les riches familles chinoises
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.