Dominique Biedermann: «Des sociétés versent des salaires trop élevés»
Directeur de la Fondation Ethos, Dominique Biedermann critique les lacunes des deux codes de gouvernement d’entreprise qui viennent d'entrer en vigueur.
Il se bat pour que les actionnaires obtiennent davantage de droits. Il pousse les sociétés cotées en bourse à plus de transparence. Il décortique les rapports de gestion pour en révéler leurs lacunes. Au cours de ces vingt dernières années, Dominique Biedermann est devenu un acteur incontournable des assemblées générales des actionnaires, où il fut parfois chahuté pour ses critiques et ses exigences.
Au printemps prochain, le Genevois quittera la direction opérationnelle de la Fondation Ethos (son successeur sera nommé cet automne) pour en prendre la présidence. Regroupant environ 140 investisseurs institutionnels suisses et comptant 19 collaborateurs, cette dernière propose différents produits par le biais de sa société Ethos Services: parmi ceux-ci figure le conseil dans le domaine de l’exercice des droits de vote lors des assemblées générales.
Aujourd’hui, Dominique Biedermann ne cache pas une certaine déception. Les raisons? L’adaptation du Code suisse du gouvernement d’entreprise publiée par EconomieSuisse le 29 septembre dernier, l’entrée en vigueur deux jours plus tard de la révision des directives concernant les informations relatives à la corporate governance de la bourse et les premières conséquences visibles de l’application de l’initiative Minder «Contre les rémunérations abusives».
Quel regard portez-vous sur l’évolution du gouvernement d’entreprise depuis le début de vos activités? - -
Lorsque plusieurs caisses de pension ont créé la Fondation Ethos en 1997, le terme de gouvernement d’entreprise n’existait pas encore. EconomieSuisse a publié le premier code de bonne pratique en 2002. Aujourd’hui, de telles règles sont devenues la norme, des entreprises aux collectivités publiques en passant par les associations à but non lucratif.
Le patronat et la Bourse suisse viennent de réviser leurs directives dans ce domaine. Après l’adoption de l’initiative Minder, sont-elles encore d’une quelconque utilité? - -
Oui, car leur objectif est complémentaire. Comme la législation ne peut pas tout régler, les acteurs économiques ont mis en œuvre des normes d’autorégulation par le biais de lignes directrices qu’ils promettent de respecter. Parmi les aspects positifs de la révision du code d’EconomieSuisse, je relève l’introduction du principe «comply or explain».
En clair, si une société renonce à appliquer certaines normes, elle doit en indiquer les raisons dans son rapport de gestion. C’est une avancée importante. A l’inverse, il faut déplorer un certain nombre de lacunes.
Lesquelles? - -
Cette nouvelle version ne fait aucune mention ni du principe de l’égalité de traitement des actionnaires (une seule catégorie d’actions, ndlr) , ni du principe «une action = une voix» (pas de limitation de vote ou d’inscription au registre des actionnaires, ndlr) .
La possibilité laissée aux sociétés de petite ou moyenne taille, soit aux 180 sur les 200 sociétés cotées à l’indice SPI, de fixer d’autres règles de gouvernance – par exemple de pouvoir renoncer aux comités du conseil d’administration – conduit à vider de son sens l’existence même du code.
Les nouvelles directives de la Bourse présentent, elles aussi, certaines carences… - -
D’une part, je regrette qu’elles n’exigent pas la publication des taux de présence individuels aux séances des conseils d’administration, tel cela est le cas sur la plupart des principaux marchés boursiers. Car la disponibilité de leurs membres est un critère important pour l’approbation de leur réélection et pour celle de leur rétribution.
D’autre part, je déplore que ces directives ne règlent pas la question de la publication uniformisée des informations relatives aux rémunérations. Une standardisation est devenue indispensable dans le cadre de l’approbation par l’assemblée générale des montants versés aux dirigeants. En effet, le niveau de détail publié quant aux mécanismes de la part variable diffère fortement selon les sociétés.
Ni EconomieSuisse ni la Bourse ne fixent de règles obligeant les sociétés cotées à publier leurs dons aux acteurs politiques et philanthropiques. Une autre lacune importante? - -
Dans une étude publiée au début de cette année, Ethos a montré que seules 53 sociétés sur les 100 analysées communiquent dans ce domaine. Cette proportion est insuffisante. Cela prouve les carences de l’autorégulation. A l’étranger, l’Etat est intervenu et a imposé des règles en la matière.
En Suisse, on en est loin. Je regrette que le Conseil des Etats ait refusé, au mois de juin, une initiative parlementaire de Thomas Minder destinée à contraindre les sociétés cotées à indiquer dans leurs rapports de gestion leurs dons aux acteurs politiques.
Comment analysez-vous les premiers effets de l’initiative Minder? - -
Son objectif visait à freiner les dérapages en matière de rémunération en permettant aux actionnaires de se prononcer sur cette question. Or, dans l’étude que nous avons publiée le 8 octobre, nous constatons que la moitié des sociétés contournent l’esprit de l’initiative Minder en ce qui concerne les modalités de vote.
Lors de leurs assemblées générales qui se sont tenues en 2014, elles ont proposé à leurs actionnaires que ceux-ci se prononcent de manière prospective sur la part fixe et sur le montant maximal de la part variable des rémunérations de leurs dirigeants.
La bonne pratique voudrait que le salaire fixe soit approuvé prospectivement, tandis que la rémunération variable soit acceptée rétrospectivement afin de pouvoir faire un lien entre la rémunération proposée et la performance qui a effectivement été réalisée.
Etes-vous toujours choqué par la hauteur stratosphérique de certaines rémunérations qui atteignent plusieurs millions de francs? - -
De trop nombreuses sociétés continuent à verser, tant pour le fixe que pour le variable, des sommes beaucoup trop élevées. Mais cette opinion n’est pas partagée par tous les actionnaires.
C’est-à-dire? - -
Les investisseurs institutionnels détiennent, en règle générale, la majorité du capital-actions des grandes sociétés cotées. Or, la grande part des fonds institutionnels est aux mains d’investisseurs anglo-saxons qui sont prêts à récompenser les managers sans aucune limite pourvu que les résultats soient à la hauteur de leur espérance. Ce qui n’est pas notre point de vue.
En conseillant quelque 3% de la capitalisation boursière suisse, Ethos parvient néanmoins à réunir un taux de vote critique de près de 10%. Ce qui est suffisant pour engager le dialogue avec les dirigeants d’entreprises afin qu’ils prennent en compte nos revendications.
L’initiative Minder parviendra-t-elle à freiner les rémunérations? - -
Les Chambres fédérales joueront un rôle clé lorsqu’elles se pencheront sur la loi d’application de cette initiative. Il est capital que la législation prévoie que l’assemblée des actionnaires puisse se prononcer séparément sur la part fixe et sur la part variable des rétributions. C’est un point essentiel pour tenter de contenir ces dernières.
Dès 2015, les caisses de pension auront à la fois l’obligation de voter lors des assemblées générales et de communiquer leurs décisions. Une bonne affaire pour vos activités? - -
Depuis l’adoption de l’initiative Minder, nos clients ont augmenté de manière significative, mais notre travail également! Car le nombre de points à l’ordre du jour des assemblées générales et celui des pages consacrées au gouvernement d’entreprise dans les rapports de gestion ont fortement progressé. Cela nous a conduits à accroître notre effectif et à améliorer notre plateforme d’accès informatique pour nos clients.
Est-ce pour cette raison qu’Ethos a augmenté son capital-actions de 1 à 1,499 million de francs? - -
Notre objectif est de profiter des retombées de l’initiative Minder pour nous développer. Nous aurions pu souscrire un emprunt bancaire, mais nous avons préféré permettre aux institutions membres de la Fondation Ethos de devenir aussi actionnaires de notre société Ethos Services.
Au cours de ces deux dernières années, la Fondation Ethos a enregistré des pertes, alors que ses comptes consolidés n’ont affiché que de faibles bénéfices. Pourquoi? - -
D’un côté, les dépenses ont été plus fortes que prévues. De l’autre, les recettes ont reculé en 2013 à la suite de la forte baisse des frais de gestion exigée par nos clients.
La concurrence s’est-elle exacerbée depuis l’adoption de l’initiative Minder? - -
Elle est devenue plus forte en Suisse alémanique. Malgré tout, nous comptons dégager un résultat positif dès 2016 grâce aux investissements consentis en 2014 et 2015, deux années qui devraient se terminer sur des pertes.
Au printemps prochain, vous accéderez à la présidence d’Ethos. On vous voit mal vous retirer complètement de la direction opérationnelle… - -
Et pourtant, ce sera le cas. Je ne compte pas m’immiscer dans les affaires courantes. Je n’aurai d’ailleurs plus de bureau à notre siège. Je consacrerai un tiers-temps à mon activité de président d’Ethos.
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