De la marge à la révolution
Secteur minoritaire de la philanthropie, l’environnement porte en lui les germes d’un changement global de société.
Octobre 2018, dans le New York Times, Hansjörg Wyss annonce une contribution d’un milliard de dollars à diverses causes environnementales. Ce faisant, le milliardaire suisse commence à corriger un déséquilibre de longue date: la protection de l’environnement a longtemps fait figure de parent pauvre de la philanthropie. Selon l’OCDE, en 2018, la protection de la planète ne représentait que 1,1% des fonds philanthropiques. En Suisse, le Rapport 2017 sur les fondations recensait 971 buts liés à l’environnement sur les 13 172 fondations répertoriées.
«Avant la COP21 en 2015, l’environnement pouvait avoir une connotation activiste, voire politique dans certains pays. Des acteurs précurseurs comme Luc Hoffmann, fondateur de la Fondation Mava, ou Hansjörg Wyss ont changé la donne, comme l’ont fait les Gates dans l’éducation. Aujourd’hui, on comprend les enjeux sociétaux avec la montée en puissance des objectifs de développement durable de l’ONU qui rendent plus concrète la réalité immédiate du changement climatique. La jeune génération en a d’ailleurs fait sa priorité. La philanthropie a pris conscience de la valeur ajoutée de l’environnement traité de façon transversale», analyse Laetitia Gill, directrice exécutive du Centre en philanthropie de l’Université de Genève.
Pour sa part, Etienne Eichenberger, associé chez WISE – philanthropy advisors, observe deux tendances majeures sur le thème de l’environnement: «Les plus petits donateurs ou particuliers ayant leur fondation ont une plus grande compréhension de la complexité de cette problématique et nous voyons plus d’intérêt à soutenir de tels projets. Auprès des plus grandes fondations, nous observons qu’elles s’allient pour collaborer car leurs moyens s’additionnent, faisant ainsi la différence. Si les petits donateurs embrassent la complexité, les grands reconnaissent que l’aspect systémique devient crucial.»
Cette prise de conscience qui se manifeste depuis la COP21 avait sans doute pris corps quelques années plus tôt. «Lors de la crise de 2009, le secteur de l’environnement était celui qui avait été le moins impacté par rapport à d’autres domaines de la philanthropie. Ce qui indique peut-être une forme de prise de conscience des fondations et philanthropes qui a précédé celle du grand public», suggère Delphine Bottge, avocate spécialiste de la philanthropie.
L’obstacle légal
Une décennie plus tard, alors que les scientifiques réitèrent constamment les appels à l’action, le monde philanthropique monte au front. Avec un frein légal: «Les fondations doivent développer leur action en conformité avec les buts édictés par les fondateurs… qui ne peuvent être modifiés qu’à des conditions très restrictives. Les fondations n’ont pas toutes la capacité de réagir. Celles qui ont dans leurs buts la possibilité d’agir sur le volet environnemental vont activer les leviers qui sont les leurs. Mais les autres ne peuvent pas agir, même si le conseil de fondation en a la volonté. Certains appellent de leurs vœux une «clause d’urgence climatique» qui permettrait aux fondations de modifier leurs buts. Mais ce n’est pas actuellement à l’ordre du jour du côté du législateur.»
Urgence… mais aussi long terme: «Il est important d’objectiver l’impact de l’action philanthropique et la recherche académique a son rôle à jouer. Les interactions entre les parties prenantes doivent évoluer», souligne Laetitia Gill. Un constat que partage Delphine Bottge qui voit un nombre croissant de philanthropes appeler à changer la donne: «Pour faire face au défi environnemental, il faut allier philanthropie, finance durable et puissance publique. Et intégrer une vision à long terme de l’entreprise.» D’un secteur marginal à l’aube des années 2000, on est donc passés à une force de proposition pour changer le modèle économique.