Comment réintégrer les jeunes sur le marché de l'emploi?

Christine Lagarde a mis en garde contre le danger pour les pays européens d'une exclusion des jeunes du marché de l'emploi.
Crédits: KeystonePrécarité, pauvreté, exclusion,... et si ces phénomènes touchaient prioritairement les jeunes en Europe? C'est la question que s'est posée le Fonds monétaire international (FMI). Et avec son étude Inequality and Poverty across Generations in the European Union publiée cette semaine en marge du sommet annuel du World Economic Forum (WEF) à Davos, ses chercheurs ont mis le doigt sur un phénomène inquiétant: ce sont les jeunes qui ont le plus souffert de la crise économique de 2008 et leur intégration sur le marché de l'emploi et plus globalement dans la société s'en est trouvée handicapée.
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Pour la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, qui pilote avec six autres femmes cette édition 2018 du WEF, le situation est critique. «Il y a deux indicateurs majeurs qui témoignent de cette exclusion des jeunes: revenus médians et taux de pauvreté. Si on regarde le revenu médian des jeunes, il a reculé suite à la crise: stable pour les 18-24 ans des 27 pays de l'Union européenne en 2009, il a reculé de 2% en 2010, de 3% en 2011 et 2012, de 4% en 2013 et de 3% en 2014, alors que celui des 65 ans et plus a dans le même temps augmenté de 5% en 2009, 6% en 2010, 4% en 2011, 7% en 2012, 6% en 2013 et 8% en 2014», constate Christine Lagarde. Pour elle, l'explication est à chercher majoritairement «dans un taux de chômage qui a explosé chez les jeunes tandis que les montants des retraites ont augmenté pour les aînés».
What matters for pensions is how much of a safety net you can keep says @Lagarde. It goes down to the details and the questions of who you must protect- and we must look to the long-term sustainability of countries #wef18
— World Economic Forum (@Davos) 24 janvier 2018
Emplois précaires et stages en hausse
Le constat est similaire en prenant en compte le poids des 18-24 ans et des 65 ans et plus dans la population pauvre de ces mêmes 27 pays sur la période: «Les taux étaient similaires en 2005 et 2006, autour de 19 à 20%, mais dès 2008 le fossé se creuse: les 18-24 ans représentent 21% de la population sous le seuil de pauvreté contre 16% pour les 65+ en 2010, 23% contre 14% en 2012 et même 24% contre 13% en 2014», assène la directrice générale du FMI. Et d'ajouter que «c'est un phénomène qui touche l'ensemble des 27 pays de l'Europe, avec des variations mais la tendance est générale».
S'appuyant sur les résultats de ses équipes de recherche, elle explique le phénomène: «Durant cette période, les emplois précaires et les stages à répétition sans emploi au bout se sont multipliés pour les jeunes, rendant plus difficile la stabilité, l'intégration dans le monde du travail et donc les projets de long-terme». Confrontées à la crise, les employeurs ont levé le pied sur les embauches, notamment en CDI, et préféré des solutions plus flexibles pour eux, mais plus précaires pour les jeunes.
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Cependant, Christine Lagarde réfute la vision du conflit de générations: «Ce n'est absolument pas "eux contre nous": les seniors ont besoin des jeunes et une société ne peut durer si ses générations s'affrontent». Et de regretter que «de nombreux jeunes ayant des projets ou des rêves n'en sont plus à les remettre au lendemain mais à les enterrer, perdant tout espoir d'avenir».
What happens to a dream deferred? It’s a question facing Europe’s youth & one I discussed at #wef18. IMF staff research shows that inequality has increased across generations in the EU. With the right policies, we can help young people realize their dreams https://t.co/UYNx3WXl5e pic.twitter.com/ItcjkGYCOO
— Christine Lagarde (@Lagarde) 24 janvier 2018
Pour s'extirper de ce piège, elle et les chercheurs du FMI perçoivent cependant des pistes de travail. Et de citer trois exemples de politiques qui ont permis de lutter contre cette exclusion grandissante des jeunes: «L'Allemagne, avec des programmes de formation ambitieux et un marché du travail flexible incitant à réaliser des embauches en CDI est un bon élève qui affiche l'un des plus bas taux de chômage des jeunes dans les 27 pays de l'UE; le Portugal a mis en place des réductions fiscales sur la main-d'oeuvre jeune, relançant l'employabilité des jeunes. La France a lancé des mesures incitatives à l'embauche dont les premiers effets se font sentir».
De ces exemples, le FMI retient trois axes majeurs de réflexion: le marché du travail («Baisser les taxes sur les bas salaires permet d'embaucher facilement des jeunes, à condition que cette mesure soit accompagnée d'un investissement massif dans la formation», dixit Christine Lagarde), la protection sociale («Proposer une meilleure couverture sociale incite les jeunes à accepter plus vite des emplois, sans crainte de la suite»), et la fiscalité («Une fiscalité plus progressive se révèle bénéfique pour les jeunes en optimisant leurs revenus sans obérer les dépenses des entreprises»). Un cocktail miracle? A doser selon les situations nationales et régionales, avertit la directrice générale du FMI pour qui «chaque politique doit s'adapter à son contexte».
La reprise offre des opportunités d'action
Et le contexte global justement est de plus en plus favorable. Le redémarrage de la croissance en Europe ces derniers mois offre aux dirigeants des opportunités: «Quand la croissance revient, nous disposons d'un contexte optimal pour combler le fossé générationnel. Certes, l'Europe connaît une croissance moindre que le niveau planétaire. Mais la hausse du PIB est là».
Un appel à l'action que Christine Lagarde assortit d'un avertissement: «Il faut oser mettre le doigt précisément là où ça fait mal. Regardons le taux de participation aux élections: les jeunes votent moins, leur taux de participation aux scrutins est 20% inférieur à la moyenne nationale dans ces pays. Et on voit les extrêmes et les solutions de repli surgir dans les urnes. L’exemple du Brexit est symptomatique».
Face à un phénomène observé dans les 27 pays de l'UE, faudrait-il dès lors envisager une solution commune, à l'échelon européen? «Il y a divers degrés d’acuité du problème en Europe, mais c’est un sujet qui touche l’ensemble des pays. Et c’est un sujet relativement récent, observé depuis la crise de 2008. Cela ferait sens que l’UE s’en empare», glisse Christine Lagarde. Mais l'ancienne ministre française se défend d'avoir présenté un focus sur un problème uniquement européen: «C’est un focus sur l’Europe car nous avons des données. Mais c’est un problème global et de nombreux pays ont intérêt à s’en préoccuper assez tôt», avertit-elle.
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