Climat, biodiversité, développement: quelle place pour les acteurs économiques?
A l'heure où la préservation de la biodiversité et des espaces naturels, en plus de la lutte contre le réchauffement climatique s'imposent comme des enjeux majeurs, quelle place les acteurs de l'économie peuvent-ils avoir dans le basculement vers une société plus durable? Tour d'horizon avec plusieurs spécialistes de la question présents à Davos pour le World Economic Forum (WEF).

Pollinisation des plantes par les insectes, remparts naturels contre les ouragans, filtration des eaux de pluie dans les sols,... Bien que peu visibles, les apports de la nature à l'économie sont innombrables et bien réels. Estimés à 125'000 milliards de dollars chaque année, ces services soutiennent la vie sur Terre en épargnant un nombre incroyable de tâches aux entreprises, gouvernements, villes et ménages.
Cependant, au cours des dernières décennies, les humains ont mis en danger cet équilibre: disparition d'espèces, réduction de la biodiversité, appauvrissement des sols, déforestation massive, réchauffement climatique,... les menaces dans lesquelles la société humaine est impliquée mettent en danger jusqu'à l'existence de notre espèce sur la planète. «Ce serait trop arrogant de penser que nous pourrons sauver la planète: celle-ci va continuer à tourner autour du soleil, des espèces vont disparaître et d’autres vont apparaître. Il faut déjà sauver l’humanité et sa présence sur cette Terre», avertit Cristiana Pasca Palmer, secrétaire exécutive pour la Convention des Nations unies sur la diversité biologique. Feike Sybesma, CEO de Royal DSM , abonde en ce sens: «L’humanité est la seule espèce animale à avoir inversé la règle de l’évolution: elle ne s’est pas adaptée à son environnement mais a adapté son environnement à ses besoins. Cependant, ce paradigme a ses limites».
Les stocks halieutiques ont chuté de 50% en 40 ans
Selon les chiffres du WWF , au cours des 40 dernières années, les populations d’espèces marines ont enregistré un déclin de 39 %, tandis que les stocks halieutiques exploités par les êtres humains ont chuté de 50% entre 1970 et 2010. «Nous dépendons de la mer et des océans. Ils nous fournissent notre eau, nous alimentent, renouvellent notre oxygène et emprisonnent le carbone, régulent le climat, recèlent des réserves de matières premières,... Nous devons réagir très vite, mais les stratégies en matière d'exploitation des ressources sont inquiétantes», constate Peter Thomson, envoyé spécial pour les océans du Secrétaire général des Nations Unies.
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«Face à la surpêche et à l'appauvrissement des mers et océans en ressources halieutiques, nous avons créé des fermes piscicoles afin de fournir la population en poissons... mais nous pêchons désormais des espèces plus petites pour alimenter les poissons d'élevage de ces fermes. C'est surréaliste», pointe Feike Sybesma. Faut-il dès lors une révolution radicale et, par exemple sur ce point de l'alimentation, opérer une transition vers une société vegan? «Près de 20% des rejets de gaz à effet de serre viennent de l’alimentation, par la production, le transport et la distribution. Avec la productivité actuelle, nous aurons besoin de centaines milliers d’hectares dans les années à venir pour nourrir la population mondiale, deux fois la taille de l’Inde, selon les projections actuelles, alors même que nous devons réduire de 70% les émissions de GES de l’agriculture», prévient Svein Tore Holsether, président et CEO de Yara International ASA , une firme spécialisée dans les produits agricoles.
Pourtant, même dans ce domaine, des pistes sont explorées. «Une vache laitière produit chaque année près de 3 tonnes de gaz à effet de serre sous forme de méthane généré par la digestion. Nous avons mis au point un complément alimentaire qui réduit de 30% les émissions de méthane des animaux d’élevage, sans impact pour leur santé. Mais comment convaincre les producteurs de l’utiliser? C’est un coût pour les agriculteurs, les gouvernements ont peur d’imposer cela, le secteur laitier a du mal à voir pourquoi lui devrait agir», déplore Feike Sybesma.
La blockchain pour garantir la traçabilité des aliments
Autre domaine où la technologie pourrait rendre des services: la traçabilité. «Au supermarché, on peut voir les glucides ou lipides sur chaque produit, mais jamais l’empreinte carbone sur les aliments que nous achetons. Alors qu’on sait comment la calculer facilement. Il faut s’assurer que nous utilisons la technologie pour rendre la chaîne alimentaire plus transparente sur la traçabilité. Il faut la mettre en place et ensuite convaincre les fermiers qu’ils peuvent jouer un rôle dans la réduction de cette empreinte carbone et trouver ainsi des marchés, notamment locaux», suggère Svein Tore Holsether. Les promesses de la blockchain notamment pourraient ouvrir la voie à ce genre de services. Ce que confirme Cristiania Pasca Palmer: «Avec la blockchain et la traçabilité, nous avons des outils pour travailler. Et il y a de l’argent à se faire avec la nature et sa préservation, les entreprises qui y viendraient ne feraient pas de la philanthropie mais du business. Un autre business, qui aurait du sens».
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Ces opportunités, certains acteurs les ont déjà perçues, voire saisies. «Dans l’industrie alimentaire, nous voyons un vaste mouvement de bascule de la chaîne de valeurs, qui met de mieux en mieux en valeur les producteurs et les producteurs respectueux de la nature», observe Svein Tore Holsether. Ailleurs, ce sont des écosystèmes complets qui ont déjà basculé. L'exemple du Costa Rica est frappant. «Aujourd'hui, 6% de notre PIB vient directement de l’écotourisme. Nous utilisons 5% de notre surface pour produire des biens naturels de grande valeur, et nous pouvons protéger des zones sensibles. Quand d'autres pays accélèrent la déforestation, nous au contraire nous re-forestons des zones entières du pays», explique Carlos Alvarado Quesada, président du pays.
Pour lui, cette démarche est plus facile à engager quand la population adopte une mentalité différente. Et de citer un exemple frappant pour son pays: «Pour les occidentaux, les grands félins sont au sommet du règne animal, il domine; pour les Amérindiens, le jaguar est à la fin de la chaîne alimentaire et s’il est là c’est que le reste de la chaîne est en état. Le plus grand problème est la façon dont nous percevons la réalité de la nature».
Le Costa Rica mise sur l'exemple
Et le pays qui a aboli l'armée en 1948 ne compte pas s'arrêter à ces beaux résultats en matière d'économie verte et durable: «Nous construisons des lignes de chemin de fer électrifiées, qui ne généreront aucun rejet de gaz à effet de serre car 99% de notre électricité est produite en mode renouvelable. Au Costa Rica, nos aînés ont aboli l’armée, notre génération doit s’en inspirer pour abolir l’usage des énergies fossiles, et j'ai bon espoir d'y arriver très rapidement», esquisse le président. Un horizon également rendu possible par l'image donnée par le pays à l'international: un havre de paix et de prospérité à la nature préservée dans un ensemble latino-américain aux réalités parfois bien moins reluisantes. Carlos Alvarado Quesada ne cache pas que cette image joue un rôle crucial, aussi bien vis-à-vis de l'étranger qu'auprès des acteurs de l'économie costaricienne: «Au parlement, nous discutons de la place du plastique et les entreprises cherchent à être impliquées dans ce dialogue car elles se rendent compte des impacts positifs pour elles si notre pays venait à restreindre bien plus drastiquement, voire un jour interdire, son usage. Cependant, nous devons encore étoffer notre discours et notre storytelling sur les urgences et les enjeux de la préservation de la nature, en mettant en avant l’importance pour l’humanité. C’est déjà clair pour le réchauffement climatique, ça l’est également pour la biodiversité. Le meilleur moyen d’avancer est de montrer l’exemple, sur le climat, la biodiversité,… tout en montrant que l’on maintient la prospérité du pays».
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Montrer l'exemple, tenter de convaincre ainsi et espérer que l'ensemble des acteurs de l'économie mondiale aient pris conscience de l'importance de ces défis? «Nous avons peu de temps. Quand nous regardons la science, nous savons qu’il nous reste quelques années, pas plus d’une quinzaine sans doute: quand la prise de conscience va se transformer en actes?», interroge Cristiana Pasca Palmer. Pour elle, «quand les ministres des finances seront conscients des enjeux, ce sera là la véritable bascule. Nous devons mettre en place une nouvelle politique globale ambitieuse».
Une politique fiscale à rediriger
Et cette politique, destinée à parachever la bascule des acteurs qui n'auraient pas été convaincus précédemment, quels leviers pourrait-elle activer? «Les racines du mal sont que la nature n’est pas comprise dans le système. Il faut repenser le système fiscal et les incitations vers une économie plus respectueuse de la nature», envisage la secrétaire exécutive pour la Convention des Nations unies sur la diversité biologique. Pas davantage de taxes et d'impôts, mais une réorientation de la fiscalité existante vers des incitations aux bonnes pratiques et des pénalités pour les comportements néfastes. Une solution qu'approuve le dirigeant d'entreprise qu'est Feike Sybesma: «Il faut placer des incitations financières et économiques pour accélérer le changement. Il nous faut un prix réel et incitatif sur le carbone pour changer les stratégies des entreprises et des investisseurs vers des axes plus durables».
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Et ce levier fiscal, même des dirigeants de super-puissances ne l'écartent pas. En charge du dossier du changement climatique au sein du gouvernement chinois Xie Zhenhua est ouvert à l'usage de ces outils: «Il faut mettre en place une économie circulaire, et cela peut se faire avec une innovation technologique qui soit au service de la nature, mais aussi avec des dirigeants politiques qui osent diriger la recherche dans ce sens. Les incitations peuvent être économiques avec un développement du marché du carbone ou des taxations sur les comportements négatifs afin que ça devienne un réel handicap de nuire à la planète».
Certains dirigeants, économiques et politiques, semblent donc avoir compris l'urgence. Mais c'est un journaliste américain, Thomas L. Friedman, du New York Times , plusieurs fois lauréat du Prix Pulitzer, qui résume le mieux la situation: «Nous sommes arrivés aujourd'hui à la génération Noé: il faut sauver les derniers spécimens de chaque espère pour préserver la biodiversité. Sinon la catastrophe sera pire que le Déluge».
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