«L’avenir est aux avocats généralistes»
L’avocat Didier Bottge raconte comment la vocation pure, l’éloquence et la curiosité font la grandeur des avocats généralistes. Un métier qui tend à disparaître, et qu’il défend pour le futur.
Il a prêté serment il y a trente ans, un 1 er décembre 1986, à 23 ans. Aujourd’hui, à 54 ans, Didier Bottge représente l’un des derniers avocats généralistes. Une brillante et vivante mémoire de ce que fut l’âge d’or de l’avocature. Ces médecins de famille capables de connaître l’entier de la situation de leur client et de percevoir, parfois dès que ce dernier franchit le seuil de la porte, ce qui ne va pas. Or aujourd’hui, ce modèle généraliste à large spectre tend à disparaître, alors qu’il pourrait bien être plus nécessaire que jamais pour naviguer par gros temps dans le monde actuel.
Fondateur il y a vingt ans de l’étude Bottge & Associés avec son épouse Delphine Bottge et l’avocat Jamil Soussi, ce fils d’architecte carougeois – son père exerce toujours à 74 ans – qui a toujours voulu être avocat, aime profondément son métier. Et ne le conçoit pas autrement. «Je défends avec mes associés le modèle de l’avocat généraliste, en lequel je crois profondément. D’ailleurs mon associée Delphine Bottge, qui a fait le choix de se spécialiser dans le domaine de la philanthropie, applique au quotidien l’approche humaniste de ce modèle.»
Le secteur des avocats en Suisse a connu moult scissions et fusions d’études, avec une tendance à la constitution de grandes structures employant des avocats aux spécialisations poussées et multiples. «Cette tendance, nul doute, répond à une nécessité du marché, poursuit sobrement Didier Bottge. Mais ma vision socio-économique me fait douter de ces modèles à grande échelle.»
Mais qui est vraiment l’avocat généraliste, et en quoi serait-il l’idéal du métier? Didier Bottge souligne d’abord son rôle global, selon lui vital dans le monde du XXI e siècle. «On nous confie, soit de manière préventive, soit à des fins de résolution du problème, un sujet qui est avant tout humain», souligne-t-il. «La connaissance de l’humain, la compréhension et la curiosité des ressorts d’une affaire, des rapports de force qui font que tel événement survient ou que telle affaire se conclut, constitue la force de l’avocat généraliste, plaide le Genevois. Placer l’humain au centre avec une vue assez globale est beaucoup plus efficace pour résoudre le sujet que l’est l’approche par spécialisations pointues. Et quand j’ai besoin de spécialisations, je fais appel à quelqu’un qui maîtrise la partie technique.»
«Gagner ses 45 premiers combats» - -
Lui, c’est donc bien ce fameux médecin de famille, qui prend en charge ses clients en recourant si nécessaire à des spécialistes, mais qui, en bon généraliste, évalue finement les motivations intérieures de son client. «Cela suppose une passion de l’humain et de ses ressorts, même les pires», souligne-t-il.
Gagner des affaires? Didier Bottge l’a fait pour obtenir ses galons dans le métier. Et pas qu’une fois. «J’ai un taux de réussite qui dépasse 90%.» N’allez pas y voir de la forfanterie. L’homme de loi a réellement démarré en trombe dans le métier, qualifiant ses 30 ans d’une «école de guerre constante». Ce grand amateur de boxe résume ainsi la loi de l’excellence dans la profession: «On ne devient pas champion du monde des poids moyens si on n’a pas gagné ses 45 premiers combats, et on ne le reste pas si on ne continue pas de gagner.»
Aujourd’hui, il est une force tranquille et reconnue, sa conception du métier l’incitant à ne pas trop se mettre en scène comme aux premières heures. Son avantage puise directement dans ses qualités de généraliste: «Je me trompe rarement de diagnostic. Je fixe un objectif à atteindre: procès, solution négociée. Et c’est grâce à la connaissance de mon client que j’y parviens neuf fois sur dix.» Souvent, l’objectif que se fixe Dider Bottge est ambitieux, mais il a l’avantage d’être «expurgé de sa partie émotionnelle».
Aujourd’hui, la mutation du métier entraîne inéluctablement la profession vers les spécialisations accrues. «Ce sont les jeunes qui, d’eux-mêmes, préfèrent la sécurité d’un grand cabinet et la carte de visite que cela représente à leurs yeux; et cela implique la spécialisation. Les études de droit, aussi, impriment l’idée de la spécialisation tôt dans la carrière d’un jeune avocat.
A l’inverse, un généraliste qui débute va toucher à tous les cas. «J’ai défendu à 24 ans un type poursuivi pour assassinat, se souvient Didier Bottge. J’ai tout de suite bénéficié d’une grande autonomie de la part de mon maître de stage et beaucoup pratiqué la défense pénale.» Dans ce métier, les maîtres à penser étaient jadis très importants pour mettre le pied à l’étrier. «Cela m’a tant appris de travailler à mes débuts à l’Etude Poncet et Warluzel (qui étaient associés dans les années 1990) ; ils imprimaient l’idée qu’on ne pouvait rien faire dans ce métier si le travail abondant n’était pas une vertu cardinale.»
Autre caractéristique propre aux avocats généralistes: la capacité de convaincre son client, l’avocat de la partie adverse, le juge, les parties. «L’art de l’argumentaire, l’aptitude à s’exprimer sont les armes de l’avocat, souligne ce plaideur-né. Les hyperspécialisations peuvent faire l’économie de la conviction. Le client aura alors, face à lui, une multitude d’interlocuteurs. On perd l’accent sur l’éloquence», regrette-t-il.
Un large spectre d’activités - -
Par la suite, il a étendu le champ de ses connaissances très au-delà du pénal. Il n’y avait alors pas les limites et cloisons qui désormais séparent les spécialités. «En plaidant sans interruption, j’ai beaucoup appris, passant ma vie au tribunal, traitant les dossiers les plus complexes, poursuit-il. Il y avait un culte du résultat très marqué. L’approche généraliste implique une notion d’aboutissement avec une vision étendue de la responsabilité et des énergies qu’on y met.»
Il se plonge ensuite dans différents secteurs d’activité: les affaires de médias, défendant nombre de journalistes et d’organes de presse. Il traite des affaires liées à l’entraide judiciaire pénale et administrative. Il se développe dans le droit bancaire, la criminalité économique, mais aussi le droit immobilier, les litiges de construction et problèmes d’autorisation.
S’il a hérité d’une proximité avec le monde immobilier de par son père, il a hérité de sa mère, qui a longtemps géré un commerce d’antiquités, l’amour des beaux objets. Tableaux de scènes maritimes, photos vintage, œuvres d’art meublent aujourd’hui son bureau surplombant la vieille ville. Dans la Genève des trois dernières décennies, Didier Bottge a eu des clients dans plus de 40 pays. «C’est l’avantage du positionnement de cette ville, au croisement de nombre de clients, domaines, provenances.» Un carrefour d’affaires qui a porté bien des carrières.
Les critères du métier ont changé - -
Mais le monde change: M e Bottge, père de cinq enfants, observe qu’aujourd’hui «la soumission à l’autorité n’est plus une vertu cardinale». Ce passionné d’histoire et de romans historiques a renoncé à «photocopier» son regard sur le monde à ses enfants. «Le modèle que je défends pourrait difficilement naître aujourd’hui. Il est toutefois de la plus grande actualité en ce début de troisième millénaire.» Très jeune, il rêvait de faire ce métier. Sa voie était toute tracée. Il termine ses trois années de droit à Genève et se lance dans un premier stage.
«On prêtait serment, et on pouvait plaider séance tenante. Mais si je m’envoyais aujourd’hui le premier CV que j’avais envoyé à l’époque, je ne m’engagerais pas moi-même, sourit-il. Aujourd’hui, il faut deux masters et quatre langues, dont le français, si possible, souligne-t-il avec un clin d’œil, et on ne trouve pas nécessairement un emploi.»
Il souligne combien les exigences du métier d’avocat sont aujourd’hui très différentes. «Nous n’avions pas peur, nous n’étions pas poursuivis par l’angoisse que d’aucuns éprouvent aujourd’hui; nous étions plus dégourdis, nous avons appris à être pragmatiques», résume-t-il.
Didier Bottge veut encore exercer longtemps, et avec bonheur, son métier, son cabinet revêtant désormais la forme de la société anonyme, «une structure encadrante, exigeante et adaptée aux défis d’aujourd’hui». Va-t-il inspirer des vocations aussi authentiques, et modernes?
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